Chaque société produit un savoir particulier sur le corps. Nos conceptions occidentales et actuelles du corps sont un produit de la progression de l'individualisme. Le corps moderne implique une triple rupture :
· Rupture de l'individu avec lui-même (âme-corps, esprit-corps) : le corps est un objet que l'on veut oublier. Il s'agit plus d'avoir un corps que d'être un corps. La médecine moderne s'intéresse plus au corps malade qu'au malade lui-même (l'homme est propriétaire d'un corps dont un organe est défaillant).
· Rupture avec les autres (individualisme, passage de la communauté à la société, prise de conscience de soi-même comme quelque chose d'unique et d'achevée, bien délimitée dans un corps).
· Rupture avec le cosmos, la nature. David LE BRETON recourt ici à des exemples piochés à différents endroits du temps et de l'espace pour souligner l'isolement du corps occidental moderne. Chez les Canaques, le mot « kara » désigne à la fois la peau de l'homme et l'écorce de l'arbre, le corps est « une parcelle non détachée de l'univers », entretenant avec le végétal des relations étroites (les intestins de l'homme sont comme les lianes de la forêt, à la naissance d'un enfant, on enterre le cordon ombilical et on y plante une graine qui grandira avec l'enfant) (p16, 17). Chez les Dogons, le feu et la chaleur animale (donc humaine) sont un même élément. Au Moyen Age occidental, l'homme est inscrit dans un tout comme l'atteste la sorcellerie populaire où un geste peut déclencher des forces (p 34). On mesure alors l'isolement du corps moderne, support et preuve d'une individualité, objet résiduel au vocabulaire particulier (vocabulaire anatomique et physiologique). Le corps est pour l'individu sa frontière. Frontière aux autres et au monde. Mais en même temps qu'un support, le corps est aussi perçu comme un encombrement : le corps est une machine contraignante que l'on voudrait bien oublier. D'où une conception paradoxale du corps moderne.
[...] Au XVIIème siècle, la culture savante, en opposition à la culture populaire, se met en place, donnant naissance à une polarisation : dans le peuple, l'homme est son corps les traditions populaires du guérissage persistent dans les élites, l'homme a un corps qu'il met à distance, qu'il met en scène. Sous l'influence du discours cartésien, l'âme est valorisée (le cogito), le corps déprécié. Les perceptions sensorielles par le corps sont rejetées car les sens sont trompeurs ou insuffisants. En effet, le corps seul est insuffisant pour voir l'infiniment petit et l'infiniment grand. Avec l'invention du microscope et du télescope, se dissocie alors l'activité des sens de celle de l'intelligence. Selon Descartes. [...]
[...] Le Breton (David), Anthropologie du corps et modernité Introduction Chaque société produit un savoir particulier sur le corps. Nos conceptions occidentales et actuelles du corps sont un produit de la progression de l'individualisme. Le corps moderne implique une triple rupture : Rupture de l'individu avec lui-même (âme-corps, esprit-corps) : le corps est un objet que l'on veut oublier. Il s'agit plus d'avoir un corps que d'être un corps. La médecine moderne s'intéresse plus au corps malade qu'au malade lui-même (l'homme est propriétaire d'un corps dont un organe est défaillant). [...]
[...] On sait peu de choses sur son propre corps. Nos connaissances sont floues et fragmentées. Et d'ailleurs, veut-on en savoir plus ? Lorsqu'on veut en savoir plus, c'est que l'on est malade. D'ordinaire, on essaye de l'oublier, ce corps, car ne pas sentir son corps, c'est être en bonne santé. LE BRETON parle d'un Refoulement du sentiment de l'incarnation comme si la conscience du corps était le lieu unique de la maladie, seule son absence définissant la santé Il ajoute : faire de l'occultation du corps le signe de la santé traduit ( ) l'impératif de discrétion qui pèse sur les manifestations tendant à rappeler à l'homme sa condition de chair (p126). [...]
[...] Les premières dissections officielles au début du XVème siècle et la banalisation de celles-ci au XVIème siècle permettent de construire un début de savoir anatomique, lequel constitue une mutation anthropologique importante : le corps commence à être distingué de la personne, le corps est en train d'être inventé. Mais cette distinction se fait lentement et avec refoulement. La besogne de l'anatomiste n'est pas indemne de culpabilité et cela ne manque pas de transparaître à travers les figures (gravées) de Vésale (1543). Les squelettes sont présentés sous une forme humanisée, en attitude, comme si l'homme hurlait sous le scalpel. Le corps est encore homme avant toute chose (p55) et le chercheur, même s'il s'est affranchi de l'autorité de l'Eglise, n'est pas entièrement libéré de ses anciennes représentations. [...]
[...] Le corps, ce n'est pas ce qui définit l'homme. Dans les deux cas, il s'agit d'un corps-machine (le corps pensé comme une machine, c'est le refouler, le penser comme échappant à la vieillesse, à la mort) qu'on veut oublier ou parfaire en lui substituant des éléments technologiques Notes 1 La désacralisation touche aussi bien aussi bien l'intérieur (anatomie) que l'extérieur de l'homme (la conquête de nouveaux mondes) Le dualisme entre l'homme et son corps se retrouvera dans la division du travail qui sera mise en place à la fin du XVIIIème siècle. [...]
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