L'ouvrage de Bernard Lahire a été publié en 2004 . Son auteur, professeur de sociologie à l'Ecole Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines, y mène une remise en cause partielle de la théorie de la légitimité culturelle qui domine la sociologie de la culture en France, au moins depuis la parution de l'ouvrage de Pierre Bourdieu La Distinction en 1979 . Cet amendement des sociologies de la culture fondées sur les inégalités de classe s'opère à partir de la prise en compte des variations intra-individuelles des comportements culturels.
En ce sens, La culture des individus prolonge dans le champ de la sociologie de la culture, les réflexions déjà menées par Bernard Lahire en 1998 dans L'homme pluriel : les ressorts de l'action . Sur la base d'une critique des thèses de Bourdieu, l'auteur engageait alors les sociologues à délaisser une vision trop unitaire de l'acteur et à restituer sa complexité plurielle, les sociétés contemporaines fortement différenciées produisant nécessairement des acteurs plus différenciés entre eux mais aussi intérieurement.
Les analyses menées dans La culture des individus sont fondées à la fois sur le traitement de données quantitatives tirées de l'enquête « Pratiques culturelles des Français 1997 » et sur l'interprétation de données qualitatives issues d'un large corpus de cent-dix entretiens. Elles permettent à Bernard Lahire de démontrer que les pratiques culturelles des individus concrets sont beaucoup plus hétérogènes que ne le prétendent les tenants de la légitimité culturelle et que la frontière entre culture « légitime » et culture « non légitime » n'a pas l'évidence empirique qu'on lui prête souvent.
Les analyses de Bernard Lahire permettent en effet de présenter l'individu comme un acteur fragmenté qui pratique le mélange des genres. Celui-ci est rendu possible d'une part par la pluralité des dispositions incorporées par les individus du fait de l'hétérogénéité des socialisations et influences subies, d'autre part par la diversité des contextes auxquels ils sont confrontés dans le monde social.
[...] Il y a donc un effet d'âge qui explique la perméabilité à la dissonance des plus jeunes (chapitre 14). Cette forte probabilité chez les plus jeunes de trouver des profils dissonants n'est pas sans rapport non plus avec un effet de génération lié à la baisse de la croyance en légitimité de la culture classique (littéraire et artistique) par rapport à une culture scientifique (mathématique), technique et commerciale. Cette évolution favorise la dissonance dans la mesure où elle encourage des personnes à fort capital scolaire à des échappées dans des univers musicaux, littéraires, télévisuels peu légitimes d'autant plus que la sanction sociale et économique des lacunes culturelles n'est pas comparable à celle des lacunes scolaires puisqu'il n'existe pas comme en matière scolaire de monopole d'Etat sur la définition des normes (chapitre 15). [...]
[...] Cette transférabilité, souvent supposée a priori, n'est en effet pas vérifiée dans un certain nombre de cas[6] (chapitre 5). En effet, si l'analyse des tableaux croisés des données de l'enquête Pratique culturelle des Français 1997 ne remet pas en cause la permanence d'une forte stratification sociale des pratiques, elle permet de mettre à jour la fréquence des pratiques dissonantes. Lahire procède en sélectionnant entre trois et sept variables correspondant à une série de pratiques (par exemple Livres-Musiques-Films dans le cas d'un modèle à trois variables) puis après avoir sélectionné des indicateurs clairs de faible et forte légitimité et évacué les situations inclassables, il montre qu'au fur et à mesure de l'allongement de la série de variables, la proportion d'individus ayant un profil dissonant augmente[7]. [...]
[...] 69-123 LAHIRE, Bernard, La culture des individus : dissonances culturelles et distinction de soi, Paris : La découverte p. L'homme pluriel : les ressorts de l'action, Paris : Nathan PETERSON Richard, KERN Roger, Changing highbrow taste: from snob to omnivore American Sociological Review, vol p. 900-907 LAHIRE, Bernard, La culture des individus : dissonances culturelles et distinction de soi, Paris : La découverte p. BOURDIEU, Pierre, La distinction : critique sociale du jugement, Paris : Minuit : p. LAHIRE, Bernard, L'homme pluriel : les ressorts de l'action, Paris : Nathan p. [...]
[...] Les analyses de La culture des individus ont toutefois fait l'objet de critiques touchant à la méthodologie d'une part et à l'interprétation des résultats d'autre part. C'est la méthode de traitement quantitative des données qui a fait l'objet des plus vives critiques[9]. Tout d'abord, la définition de l'échelle de la légitimité culturelle sur la base de laquelle Lahire développe sa typologie est fondée à la fois sur la distribution des pratiquants selon le niveau de diplôme et les catégories socioprofessionnelles et sur les catégories de classement des genres (littéraires, musicaux, cinématographiques, télévisuels). [...]
[...] La quatrième partie étudie plus finement le rôle des mobilités et influences. Tout d'abord, une partie des profils culturels dissonants s'explique par des situations de mobilité sociale (l'individu n'a pas la même position sociale que ses parents), scolaire (l'individu n'a pas le même niveau scolaire que ses parents) ou professionnelle. Ces déplacements permettent d'acquérir le sens du haut et du bas en matière de légitimité culturelle (chapitre 12). Une autre série d'influence provient des personnes fréquentées dans le cadre des relations conjugales, amicales, professionnelles : ces fréquentations permettent d'expliquer que la dissonance ne soit parfois qu'une hétérogénéité vécue sur le mode de l'accompagnement de l'autre ou du second degré (chapitre 13). [...]
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