Né en 1948, Jean Claude Kaufmann a commencé sa carrière de sociologue en 1969, comme chercheur contractuel, avant d'être admis au CNRS en 1977. Nommé directeur de recherche en 2000, il est membre du CERLIS (centre de recherche sur les liens sociaux), laboratoire CNRS de l'université Paris -5 Sorbonne. Il est notamment l'auteur de La trame conjugale (1992), La femme seule et le prince charmant(1999), Premier matin (2002).
L'auteur est ainsi connu pour son choix de sujets pour le moins peu conventionnels. Sa méthode consiste à prendre un élément simple du quotidien et à l'analyser en profondeur. Il montre ainsi que les choses en apparence les plus banales sont en fait les plus complexes, qu'elles cachent une multitude de mécanismes à dévoiler. Le sujet de ce livre : les seins nus sur la plage. Pratique apparemment anodine qui touche en fait à quelque chose de fondamental : le rapport au corps. Cet ouvrage n'est pas à proprement parler un livre sur les seins nus mais sur le travail de construction normative et la distance au rôle. Kaufmann établit solidement les faits, reconstitue le système de représentations, et parvient à les replacer dans une problématique générale sans chercher pour autant à recouvrir son sujet d'un voile théorique.
Le matériau sur lequel s'appuie Kaufmann est étonnement riche : entretiens semi-directifs et observation participante sur une base de quelques trois cent vacanciers. Il a mobilisé près d'une demi-douzaine d'enquêteurs sur cinq plages différentes. Le principal obstacle à cette vaste entreprise n'était pas la disponibilité des vacanciers, mais plutôt leur incontournable paresse, ce que Kaufmann nomme « torpeur bronzagère »ou « végétative ». L'auteur constate en effet que « la plage n'aime pas penser, n'aime pas parler » (p.73). L'interroger sur ses motivations, c'est déjà lui faire violence. Il en va de même lorsqu'il la met devant sa principale contradiction : d'un côté, la proclamation d'une tolérance universelle (« chacun est libre »...), de l'autre des jugements esthétiques qui stigmatisent sans appel les seins non conformes (trop vieux, trop gros, trop mobiles...). Nombres d'interviewés fuient la contradiction par des détours et des abandons.
[...] Il est certain que la tolérance morphologique y est beaucoup plus grande. Pour la simple raison que les règles du jeu y sont très différentes, que la beauté ne joue pas le rôle central qu'elle a sur la plage aux seins nus. (p.227) Le naturisme participe sans doute d'un mouvement plus authentique moins centré sur le sujet, plus ancien aussi, que le dévoilement des seins et le nudisme. C'est ce qui permet à Kaufmann de dire (p.26) que les plages naturistes sont, quelque part en retard et en avance sur leur temps En retard car : autour d'elles s'inventaient discrètement des libérations spontanées, ou en d'autres termes : étaient mis au point des mécanismes plus personnels, plus intérieurs, de maîtrise de soi. [...]
[...] L'interprétation des pratiques est beaucoup plus problématique : Kaufmann explique qu'elle joue tour à tour sur trois visions du corps. Officiellement, la perception s'appuie sur la notion d'un corps parfaitement normalisé par le respect des rituels communs et devenu si banal, si démotivé, que nul n'est censé le regarder. Mais il y a une dérogation un corps esthétique offre au regard le droit de s'attarder (mais pas plus de quelques secondes). Enfin un troisième corps ne cesse de fasciner, le corps sexuel, objet d'un regard plus trouble mais quasiment inavouable et qu'on a tôt fait de rejeter dans l'anormalité. [...]
[...] (p.64) Ce message apparemment contradictoire de l'auteur est tout à fait révélateur : le projet de Kaufmann dépasse l'espace circonscrit de la plage : les relations de couple, l'importance du regard dans la modernité, la construction du normal L'espace de la plage est profondément banal dans la mesure où il produit du conformisme tout en permettant des innovations. Le cas du naturisme peut être le moyen de penser le changement social possible, un exemple de libération équivoque : Dans les camps naturistes, où tout le monde est nu, le classement esthétique est très faible, et les animateurs du mouvement souhaiteraient même qu'il disparaisse totalement. Sur les plages dites textiles, la place du beau dans le système d'interaction autour des seins nus dépend de la proportion des dévoilements. [...]
[...] Le contrôle des gestes et des émotions implique une multiplication des interdits et la prise de distance toujours plus grande avec l'immédiateté corporelle. Cependant la montée du désir de souplesse, de confort et d'immédiateté des sensations marque les débuts du XXème siècle. Il y a donc à la base du problème un paradoxe : la libération du corps implique un contrôle accru des émotions. L'exemple du pyjama (p.22) permet d'illustrer l'idée selon laquelle, dans une seconde phase du processus de civilisation, le corps se libère, se dévoile, sous la contrainte d'un contrôle plus grand des pulsions. [...]
[...] Mais leurs mouvements et leurs jugements puisent dans un répertoire fini, d'une grande pauvreté : quelques catégories binaires (jeune/vieux, petit/gros, couché/debout . ) suffisent à faire un tri expéditif entre le normal et le bizarre, entre le beau et le laid. Dans cette analyse, Kaufmann décrit bien des interactions, mais sans postuler que l'ordre social émerge de la multitude des interactions. C'est plutôt l'inverse : l'ordre préexiste, et les efforts de chacun sont tendus vers la nécessité du rappel à l'ordre. [...]
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