Corps et âme est une étude ethnographique de Loïc Wacquant menée sur les réalités de la boxe afin de mieux appréhender celles du ghetto des années 1990. Pour cela, l'auteur décide de mener une étude en s'interdisant tout apriori sur le ghetto qui pourrait biaiser son travail. Tel était donc son point de départ : rompre avec les prénotions de l'observateur lointain pour nous livrer un ouvrage ethnologique sur la sociologie du sport par la méthode de Malinowski : l'observation participante -plus participante qu'observante, comme il se plaît à l'annoncer au commencement de son œuvre. C'est pourquoi il ouvre son propos par une citation de Marcel Mauss où il expose, comment mener de manière rigoureuse une étude ethnographique. Ce texte nous ouvre alors une perspective nouvelle quant à l'appréhension d'un sport a priori violent qui est bien plus qu'une agrégation des techniques du corps. Il s'agit en effet là, d'aborder d'un nouveau point de vue ethnologique, qui consistera pour Wacquant à étudier un sport (et les logiques sociales qui l'entourent) dont les techniques ne s'apprennent pas par cœur, mais par corps. Il se lance donc comme défi d'étudier les raisonnements sociaux qui régissent le monde pugiliste. Si Michel Foucault disait qu'il fallait « faire de sa vie une œuvre d'art », avec Wacquant le gym fut alors l'ultime outil pour ces boxeurs de faire de leur corps, leur œuvre d'art. L'habitus, cette manière d'être au monde, au monde de la boxe avant tout, instaure des prédispositions qui font que chaque boxeur aura un rapport, au gym, à l'autorité, à son propre corps différent des autres lui créant sa propre trajectoire dans le milieu pugiliste. C'est d'ailleurs ce qu'il s'attache à mettre en exergue à travers son carnet de bord. La méthode qu'il emploie est alors d'une grande rigueur.
[...] Tout cela afin d'être perçu comme légitimement apte à parler au nom d'un groupe social dont il n'était jusqu'alors pas considéré comme membre et acquérir ainsi la même "grille de lecture" au monde que ces derniers. L'un des moyens les plus efficaces d'y parvenir est de se faire accepter comme membre à part entière de cette communauté noire de Woodlawn et de faire oublier son statut extérieur d'observant. Chose qu'il est parvenu à faire comme il le souligne en clôturant son livre sur son premier combat: Je suis désormais des leurs, à part entière : Yep, Louie's a soul brother. note-t-il. [...]
[...] On peut parler d'une opposition symbiotique au ghetto qui l'entoure et l'enserre donc, le but est avant tout de recréer un ordre dans le désordre environnant. En somme, les préoccupations de Pociello et Wacquant recoupent celles qu'exprime Bourdieu dans La Distinction quand il dit qu'« Un sport a d'autant plus de chance d'être adopté par les membres d'une classe sociale qu'il ne contredit pas le rapport au corps dans ce qu'il a de plus profondes et de plus profondément inconscientes Quand Wacquant dresse le portrait du gym: socialisateur, protecteur et intégrateur c'est avant tout pour étudier la fabrique du boxeur. [...]
[...] Pour certains, il s'agit même du seul agent de socialisation comme pour ceux issus de familles fragiles. Parfois il s'agit même d'élever le corps du pugiliste au deçà des séductions terrestre, des lourds objets superficiels qui pèsent sur leur nature, la boxe apparaît alors comme un moyen de socialisation qui bien plus que de changer sa manière d'être au monde change également la manière d'être de soi à soi. On passe alors du culte religieux au culte de soi, bien loin de l'individu en tant qu'être égoïste et plus proche de cette notion de sujet dont faisait référence A. [...]
[...] Pour s'objectiver, il se fixe sur un objet qui devient ainsi sacré. L'effervescence créée au gym porte cette énergie collective tandis que le corps incarne parfaitement cet objet sacré dont Durkheim fait référence. Tout cela, accompagné de rites qui rythment la pratique, la fonde et l'encre chez chacun des boxeurs, et qui rythment cette société anomique dans laquelle ces derniers évoluent. Mais la boxe par les préceptes qu'elle prêche, fait qu'elle acquière une dimension singulière notamment à travers l'insistance qu'elle porte pour affirmer le caractère masculin du monde pugiliste et cela passe en outre par le troisième commandement: à savoir s'éloigner de l'aphrodisiaque ultime que constitue le sexe féminin pour le boxeur. [...]
[...] Elle concoure à développer chez lui toute une sensibilité artistique, car le gym, c'est d'abord une symphonie de bruits comme l'affirme lui-même Loïc Wacquant et dont Deedee se fait le chef d'orchestre. C'est une musique qui s'apprend collectivement (à travers la correction de l'autre, de soi ce que l'auteur dénomme comme une correction mutuelle par le groupe mais dont le réinvestissement est individuel. La pédagogie du monde pugiliste s'apparente alors comme un processus long, d'un apprentissage dont il convient d'intégrer les normes. D'ailleurs, Alessandro Baricco exprime bien cette idée dans son roman City quand il déclare que Pour apprendre à boxer il suffit d'une nuit. [...]
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