Corps et âme, c'est ainsi que s'est donné Loïc Wacquant afin de comprendre son objet d'étude, le milieu de la boxe en général et le métier de boxeur en particulier. Influencé par les concepts de l'interactionnisme symbolique et les méthodes de l'ethnographie, l'auteur base sa démarche de compréhension des interactions entre les acteurs du monde de la boxe, sur sa propre immersion au sein du groupe afin d'être au plus près de sa réalité sociale entendue comme les représentations que les pugilistes se font de leurs actions. Carnet de notes, photos, enregistrements, entretiens, sont les supports de cette observation participante d'un peu plus d'an et demi, quasi quotidienne. S'il s'est efforcé au préalable de se défaire de « l'exotisme préfabriqué » (stéréotypes véhiculés par les médias et les mises en scène des boxeurs), il avertit s'être abandonné à son objet jusqu'au point d'avoir un temps pensé à interrompre sa carrière universitaire. Sa lucidité à ce propos et le fait que sa méthode repose sur cet abandon total ne font pourtant que renforcer son travail.
[...] L'agencement du gym est à ce titre révélateur : une multitude d'affiches de matches de boxeurs locaux et de grandes vedettes est disposée un peu partout sur les murs de la salle d'entraînement comme pour entretenir l'« illusion d'une grande ‘chaîne de l'Etre' pugilistique (p.38) où le jeune pugiliste pense croître sa valeur jusqu'à devenir un champion par le respect des croyances et des règles du gym. Cet espoir d'ascension sur l'échelle pugilistique est d'autant plus fort que les chances offertes ou refusées par le système local sont minces (précarité, chômage de masse, faible taux de poursuite d'études supérieures, etc.) et souvent résumées par les camarades de Loïc Wacquant par la palette de choix suivante : s'ils ne boxaient pas, ils seraient drogués, morts ou en prison (p.189). [...]
[...] L'intellect ne régit pas le corps doué d'une intelligence pratique. Et l'auteur d'affirmer que la compréhension de cette mécanique ne peut se faire que par l'expérimentation, justifiant par-là sa méthode tout en précisant sa difficulté à retranscrire de manière abstraite une initiation absolument concrète (p.71). Avant de devenir une machine intelligente capable d'intercepter, analyser et réagir spontanément aux signaux extérieurs (coups, déplacements, regard de l'adversaire), le corps doit subir une rééducation physique et donc psychique complète (notamment les réflexes de repli, de protection) qui passe par un entraînement de longue haleine. [...]
[...] En s'immergeant dans le milieu, le sociologue se saisit, après seize mois de pratique, du fait que le gym n'est pas seulement le lieu de l'entraînement physique, ce à quoi pourrait le réduire un observateur extérieur cherchant le simple entretient du corps, l'apprentissage de techniques d'autodéfense, ou visant d'emblée l'étude du métier de boxeur, freinant par-là l'abandon de soi nécessaire à la pénétration de la communauté que l'on cherche à comprendre (l'objet initial de l'auteur avant sa prise de conscience était les stratégies sociales des jeunes du ghetto). Le gym est aussi le fourneau où s'entretient la flamme du désir pugilistique la croyance collective en le bien-fondé des valeurs indigènes sans laquelle nul ne saurait se risquer durablement entre les cordes (p.18). [...]
[...] S'il s'est efforcé au préalable de se défaire de l'exotisme préfabriqué (stéréotypes véhiculés par les médias et les mises en scène des boxeurs), il avertit s'être abandonné à son objet jusqu'au point d'avoir un temps pensé à interrompre sa carrière universitaire. Sa lucidité à ce propos et le fait que sa méthode repose sur cet abandon total ne font pourtant que renforcer son travail. A la nuance près que ce dernier est parsemé de récits relatifs à son aventure humaine (histoires personnelles de ses camarades de gym, narration du son premier match, etc.) sans apports réflexifs approfondis. [...]
[...] Ce n'est qu'au fur et à mesure de sa tentative de faire de son corps un stratège spontané que l'apprenti boxeur se saisi du fait que ce sport en apparence fortement individuel (du fait de la mise en jeu de l'intégrité physique), est hautement collectif dans le travail du corps, possible qu'à partir d'une correction collective permanente (p.103). L'apprentissage implicite de la boxe se fait ensemble, par une communication silencieuse, pratique, de corps à corps (p.112). Si le coach est au cœur de cet entrainement solidaire, les autres pugilistes sont autant de relais diffusant ses indications/remontrances. Non seulement l'entraîneur veille à crier des conseils non-nominatifs auxquels chacun se sent le devoir de réagir par l'intensification des efforts, mais il délimite également le temps court des exercices Time in ! Time out ! [...]
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