« Les démocraties apparaissent aujourd'hui menacées par une double leucémisation de leur espace public. Par elle-même, la dynamique individualiste qui les a traversées depuis leur naissance contenait, dans son principe, le risque d'une atomisation de la société. Parce que notre ère est celle de l'individu, devenu valeur suprême, c'est désormais à chacun d'inventer ses règles et ses normes. Le progrès qui a conduit de l'univers de la tradition, caractérisé par sa soumission au principe d'autorité, à celui de l'autonomie contient ainsi la perspective d'une société de plus en plus privée de repères partagés, avec toutes les conséquences délicates que cette fragilisation du lien social induit ».
L'idée exprimée ici par Alain Renaut, professeur de philosophie à l'université de la Sorbonne, du délitement du lien social au sein de nos sociétés démocratiques est partagée non seulement par les sociologues mais elle est également une question politique. Ce que les sociologues observent et étudient, les politiques doivent en penser les solutions, en tant que responsables du bonheur et de l'épanouissement de la société. Car si l'idéal et le principe même de la démocratie sont l'affirmation des droits individuels, que chaque individu peut revendiquer également à ses pairs, et ce qui sous-entend le nécessaire respect de la part de l'Etat de la sphère privée de chacun, l'homme démocratique reste cet homme social, en continuelles interactions avec ses semblables, interagissant avec eux dans une sphère publique dont l'Etat est responsable.
Les sociologues Dominique Schnapper et Pierre Bouvier traitent chacun dans leurs ouvrages, intitulés respectivement Qu'est-ce que l'intégration ? et Le lien social, de cet effritement du lien social, mais l'un et l'autre abordent le problème sous deux angles différents. D.Schnapper traite la question des populations migrantes, de leur descendance et de leur intégration dans la société, nécessaire mais non suffisante, puisque elle ne peut être envisageable que si est également assurée l'intégration de la société. C'est donc une étude sociologique alors que Pierre Bouvier revendique une approche socioanthropologique, mixe de sociologie et d'anthropologie, qui permettrait de mieux rendre compte et de mieux cerner ce qu'est le lien social et les expressions qu'il prend aujourd'hui dans nos sociétés modernes désabusées.
A la lecture de ces deux ouvrages, le lecteur connaît deux approches différentes dans l'explication du malaise démocratique et les conséquences néfastes de l'individualisme. Différentes, mais complémentaires et en rien contradictoires puisque les enquêtes sociologiques aboutissent à la même constatation, celle de l'exclusion, ou tout du moins d'une intégration partielle de certains membres de la société. Alors que D.Schnapper s'attache à étudier ce problème du point de vue des descendants de migrants, P.Bouvier traite la question de la société moderne dans son ensemble, en tant que scène de l'individualisme dans laquelle chacun doit trouver sa place.
Par ailleurs, les deux auteurs insistent sur l'importance des termes employés, qui révèlent le fond du débat. P.Bouvier retrace ainsi l'histoire de l'association des mots lien et social et de leur emploi par les sciences sociales tandis que D.Schnapper précise toute la délicate utilisation qu'il faut faire du mot intégration et le débat que cette question sémantique a créé chez les sociologues. C'est ce que nous retracerons rapidement dans une première partie. Puis nous évoquerons les difficultés d'intégration, ou d'inclusion selon P.Bouvier, de certains ensembles populationnels, pour évoquer dans un troisième temps les problèmes liés à la société elle-même, car si certains groupes s'intègrent moins bien et moins facilement, tout ce problème n'est pas dû qu'à leur particularité mais est également un problème de la société, qui doit être intégrante et intégrée.
[...] Cette distinction entre intégration culturelle et intégration structurelle a permis aux sociologues de comprendre les expériences vécues différemment par les migrants d'un côté et leurs descendants de l'autre. En effet, les migrants, intégrés dans leur société d'origine, se voyaient intégrés structurellement à la société d'installation par le biais de leur travail. Emigrés de leurs pays en vue d'un travail dans la société d'installation, leur participation aux instances de la vie sociale se faisait logiquement. En revanche, ils restent toujours attachés à leur culture d'origine et leur intégration culturelle reste donc faible. Leurs descendants connaissent le phénomène inverse. [...]
[...] Alors qu'ils seraient censés se battre pour le gain, un lien se développe entre eux, une sorte de cohésion parce qu'ils vivent une même expérience. Les départs des joueurs les uns à la suite des autres sont emprunts de sentimentalisme, et de larmes, comme si leur amitié datait depuis longtemps. Pourtant, on se rend compte que leur chagrin est vite remplacé par l'appât du gain et le retour dans le monde du jeu. Le lien social institué n'est qu'éphémère, et superficiel. Du côté du téléspectateur, un phénomène d'identification intervient. [...]
[...] De 1880 environ, début de la sociologie, aux années 1950, on utilisait le mot assimilation pour désigner le processus faisant adopter par les populations nouvellement immigrées les normes et les valeurs de la société d'installation, et ceci aussi bien aux Etats-Unis qu'en France. C'est en découvrant que le processus n'était ni unique ni rectiligne que les sociologues ont alors distingué entre le fait d'adopter les valeurs culturelles de la société de celui de participer aux instances de la vie en société. [...]
[...] Un autre terme est cependant retenu par de nombreux sociologues : la régulation, qui renvoie à la production de règles. En effet, selon D.Schnapper, plus que dans les autres sociétés historiques, l'intégration des individus n'est pas seulement le produit de la conformité de leurs conduites aux normes, mais de leur participation active à la vie collective, en particulier à l'invention de normes sociales. La société moderne est tendue vers l'avenir, elle se construit par les changements et les innovations, c'est en participant à ces innovations que les individus s'intègrent au sens actif du terme. [...]
[...] Il devrait succédait aux idéologies des Lumières, du Progrès et indiquer la direction vers laquelle doivent tendre, sinon ne pourraient que se diriger, les sociétés contemporaines. La globalisation, c'est l'évidence d'une option qui efface la relative pondération liée à une description distancée indiquée par le terme de mondialisation. Elle renvoie, peu ou prou, au schème conquérant de l'alliance entre la puissance économique et la légitimation politique à valence hégémonique tel que le début du troisième millénaire souhaite l'instaurer comme valeur axiale Selon l'auteur du Lien social, les transformations économiques et sociales qui découlent de ce nouveau paradigme viennent effriter le lien social, et dégrader les interactions entre les individus, noyés dans cette nouvelle configuration politique. [...]
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