En 1944, Alfred Schütz, intellectuel viennois exilé aux États-Unis du fait de la Seconde Guerre Mondiale, écrit deux articles qu'il qualifie lui-même d' « essais de psychologie sociale » : L'étranger et L'homme qui rentre au pays. D'après ces textes, on comprend que Schütz, par psychologie sociale, désigne l'analyse psychologique des rapports sociaux : il essaie d'analyser les rapports des hommes entre eux en se basant sur leur psychologie individuelle, de façon à dégager une psychologie collective, qui expliquerait certains phénomènes.
Ces deux textes sont très complémentaires, et le fait de les lire à la suite renforce les thèses de l'auteur. Les titres eux-mêmes sont très explicites à cet égard : il est évident que l'étranger appartient à un pays dans lequel il sera généralement appelé à rentrer, ne serait-ce que ponctuellement. L'étranger et l'homme qui rentre au pays sont en fait une seule et même personne, mais appréhendés de façon différente : l'étranger est l'homme qui doit s'adapter à une société qui lui est inconnue tandis que l'homme qui rentre au pays est celui qui doit se réadapter à une société qui lui est familière.
[...] Il est intéressant de remarquer que l'analyse de Schütz se place dans un débat plus large, celui de l'universalisme et du relativisme culturel. En effet, l'idée qu'il existe un modèle culturel, une culture propre à chaque pays et même à chaque groupe social, puisque ce principe est appliqué à l'armée, implique une attitude relativiste : ce qui est vrai dans un groupe ne l'est pas ailleurs. Il existe des différences culturelles fondamentales qui empêchent un individu de se fondre instantanément dans un groupe donné, de comprendre immédiatement toute la complexité d'une société et de pouvoir s'y mouvoir avec l'aisance requise. [...]
[...] Schütz développe une analyse identique en utilisant la théorie des groupes primaires terme inventé par Charles H. Cooley : nous avons avec les membres de notre société des relations de face à face autrement appelées relations pures avec le nous qui sont de cet ordre parce que nous vivons avec ces autres êtres humains dans une communauté spatio-temporelle unie. De plus, toujours d'après ce concept de groupes primaires les relations sociales d'une même communauté sont récurrentes, c'est-à-dire qu'elles se répètent selon des termes codifiés et sont régies par les mêmes recettes évoquées plus haut. [...]
[...] Schütz décrit ce phénomène aussi bien dans L'étranger que dans L'homme qui rentre au pays. Le modèle culturel est la façon dont l'homme perçoit le monde autour de lui : c'est une grille de lecture, un ensemble de coutumes et d'habitudes qui, constituant la norme, sont les premières références de l'homme lorsqu'il est confronté à la société et au monde en général. C'est avec ce modèle culturel que l'homme acquiert sa connaissance du monde, même si celle-ci est très loin d'être complète : pour Schütz, l'homme sait très peu de choses, son savoir est bien loin d'être complet ou même consistant. [...]
[...] La situation de l'homme qui rentre au pays est d'autant plus difficile que, contrairement à l'étranger, il n'a pas anticipé ce décalage et revient changé dans un monde qui a changé dans une direction qui lui est désormais extérieure. Prenant exemple sur les problèmes que rencontrent les vétérans, Schütz note donc l'importance de préparer aussi ceux qui sont restés au pays, de leur faire comprendre qu'ils ne retrouveront pas la même personne que celle qu'ils ont quittée. Ces deux textes sont, de façon évidente, ancrés dans un contexte historique très fort, celui de la Seconde Guerre mondiale. L'étranger, c'est Alfred Schütz qui a dû fuir son pays et les nazis pour s'exiler aux États-Unis. [...]
[...] Le problème de l'étranger, justement, est qu'il ne partage pas cette histoire qui fonde l'unité du modèle culturel de la société à laquelle il veut s'intégrer. Il ne peut donc maîtriser le modèle culturel qui s'offre à lui, d'autant plus qu'il éprouve des difficultés à en dessiner les contours. Ainsi, l'étranger va d'abord, conformément à tout processus d'enquête, tenter de définir le modèle qui s'offre en lui. Il sera tout à tour spectateur désintéressé, puis, le modèle culturel imprégnant le nouvel environnement dans lequel il vit, il va être forcé de se rendre compte que la représentation de la société nouvelle qu'il s'était forgée dans son propre pays est inadéquate et fausse. [...]
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