Nous avons donc choisi d'interpréter cet entretien. Georges présente de nombreuses caractéristiques sociologiques intéressantes dans l'optique d'une analyse des inégalités sociales. D'origine malgache, il a exercé un métier indépendant pendant des années (électronicien ambulant à son compte), ce qui lui permettait de vivre confortablement. Mais pendant toutes ces années, il n'a pas du tout cotisé pour sa retraite, inconscient de l'importance de cet acte. Handicapé, il a ensuite perdu son emploi et s'est retrouvé au chômage, sans pouvoir retrouver un emploi. Pendant sa période de chômage, il a abandonné le catholicisme pour devenir témoin de Jéhovah. Suite à cette conversion, sa famille l'a rejeté et a quasiment coupé les ponts avec lui. Il a sombré dans une grande précarité, due à son handicap, son chômage, et l'abandon de ses proches. Aujourd'hui, il a atteint l'âge de la retraite (60 ans exactement) et vit grâce au minimum vieillesse et à l'AAH (Allocation pour les Adultes Handicapés). Placé sous tutelle, il est logé dans une Résidence sociale gérée par la Coordination des SDF de Bordeaux.
[...] Cette situation rappelle l'analyse de Daniel Gaxie dans Le cens caché, publié en 1978. Le sociologue analyse les causes du désintérêt pour la politique manifesté par toute une frange de la population des démocraties modernes. Il montre comment les inégalités économiques et sociales sont à l'origine d'une nouvelle forme d'inégalités politiques entre, d'un coté les professionnels de la politique et ceux qui possèdent les clés pour comprendre son fonctionnement, et d'un autre les citoyens ordinaires qui sont dépossédés des moyens de connaitre et de maitriser le champ politique. [...]
[...] En effet il nous dit à multiples reprises qu'il avait une bonne situation auparavant, quand il avait un emploi. Il oppose le temps présent, celui de la précarité, à un passé plus glorieux et heureux. Il expérimente un véritable déclassement social. Il est passé d'une situation où il avait un emploi qui lui permettait de bien gagner sa vie, une famille qui le rendait heureux et une certaine stabilité, à un quotidien précaire avec des moyens très restreints et une vie sociale qui s'est réduite comme peau de chagrin. [...]
[...] Mais il n'admet pas qu'il est une victime, car dans la société actuelle, le fondement de l'égalité est l'autonomie, la réalisation de soi. L'individu est considéré comme seul acteur et responsable de sa vie, que ce soit dans l'échec ou la réussite. Georges démontre la puissance de cette conception intériorisée de l'égalité et de l'autonomie quand il explique qu'il se trouve dans cette situation par sa faute. Il se sent aussi responsable de ses échecs que de sa réussite sociale lorsqu'il avait un emploi. [...]
[...] Notez-le sur votre truc, je gagnais très bien ma vie à l'époque : je gagnais 200 euros par jour Mais après, je n'en avais plus assez pour vivre et je suis devenu chômeur. Mais je n'ai pas cotisé, j'ai fait le con. C'est pour ça que je n'ai pas de retraite aujourd'hui : je gagnais beaucoup mais je n'ai pas cotisé Je n'ai pas pensé à après, ce qui pouvait se passer. J'aurai dû cotiser mais je ne l'ai pas fait. Je n'ai pas pensé Et aujourd'hui je le regrette. C'est idiot. Si je pouvais revenir en arrière je ne referais pas la même erreur. [...]
[...] L'abandon qu'il déplore le plus est celui de sa famille. Il nous dit en effet ne plus voir que ses enfants, très rarement. Le reste de sa famille, y compris son épouse, l'a vraisemblablement abandonné lors de sa conversion au sein des Témoins de Jéhovah, qu'il nomme son changement de religion Cet abandon est renforcé par le fait qu'une grande partie de sa famille vit à Madagascar, d'où sa mère est originaire, ce qui double l'éloignement affectif d'un éloignement physique difficile à supporter pour Georges. [...]
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