Cependant, est-on fondé à appréhender ces nouvelles oppositions comme un retour des antagonismes de « classe », alors même que les nouveaux clivages traversent verticalement tous les groupes sociaux ? La classe sociale ne se caractérise-t-elle pas précisément par une certaine cohésion, une certaine unité, une capacité à mobiliser ses membres dans l'action collective ? Que faut-il penser alors de l'éclatement de la classe ouvrière (aujourd'hui traversée par des clivages politiques importants quand elle manifestait jadis une homogénéité idéologique forte), de la forte hétérogénéité des classes moyennes ou même de l'extrême dispersion des « out » ? Et quand bien même pourrait-on admettre l'existence de nouveaux antagonismes de « classe », ne faut-il pas, dans un monde où le tissu social s'est considérablement complexifié et densifié, sortir du schème d'opposition dichotomique et bipolaire d'appréhension des différents conflits ?
Cela nous conduira donc à montrer que si les Trente Glorieuses puis les nouvelles configurations de la société post-industrielle semblent consacrer la disparition des classes sociales (I), l'affirmation ne peut qu'être être nuancée au regard de la persistance de rapports de domination et surtout de l'apparition de nouvelles lignes de fracture verticales (II), mais conserve toutefois sa validité dans la mesure où les nouveaux clivages ne sauraient être perçus comme une renaissance des antagonismes de classe en France (III)...
[...] Y a-t-il encore des classes sociales en France ? Introduction Après la forte croissance des Trente Glorieuses (marquée par la diffusion des biens de consommation, la généralisation de l'accès à la propriété et une certaine atténuation des clivages économiques et culturels traditionnels), l'avènement des structures post-industrielles a provoqué un ébranlement général de la société française, achevant la déconstruction des structures sociales établies, et consacrant de fait la disparition d'un certain ordre social Le développement de la société post-industrielle correspond en effet non seulement à une tertiarisation massive de l'économie, mais également à une crise profonde du modèle taylorien et du fonctionnement de l'Etat Providence (crise symbolisée notamment par la montée du chômage de masse et l'échec des politiques de relance d'inspiration keynésiennes). [...]
[...] Théodore Veblen, La théorie des classes de loisir), par un art de vivre et un niveau d'instruction lui donnant une certaine respectabilité sociale (E. Goblot, La barrière et le niveau, 1925), par sa capacité à imposer ses pratiques culturelles comme culture légitime (et notamment la culture savante). A contrario, le prolétariat de l'époque vend de sa force de travail pour survivre, connaît des conditions de travail précaires, est exclu hors des pratiques culturelles légitimes . Il se caractérise cependant par une forte conscience de classe, qui transparaît notamment dans la solidarité fusionnelle avec laquelle s'effectue la défense des intérêts communs au travail (les relations de travail étant bercées par les logiques d'opposition conflictuelles . [...]
[...] Merlet (dont les thèses sont rapportées ici par Erik Neveu Sociostyles . une fin de siècle sans classes ont proposé une nouvelle grille de lecture de la stratification sociale basée sur les sociostyles (ou styles de vie). Chaque sociostyle rassemble les individus qui partagent des conditions de vie similaires et qui adhèrent à des normes et valeurs proches. Il y aurait ainsi par exemple un sociostyle des jeunes de banlieue, un sociostyle des attentistes . La société française contemporaine se caractériserait ainsi, selon les auteurs, par l'agrégation et l'empilement d'au moins 14 sociostyles (quoique la réalité demeure fluctuante . [...]
[...] L'essor des classes moyennes alimente en réalité un double débat. De par leur existence, elles remettent en cause la conception bipolaire de la stratification sociale. Mais en offrant toute une échelle graduée de positions (notamment dans le tertiaire), c'est le concept même d' opposition de classe qu'elles fragilisent. D'où le refus des sociologues d'inspiration marxiste, soit de reconnaître leur existence (cf. Dahrendorf, Classes et conflits de classes dans la société industrielle, Baudelot et Establet, La Petite Bourgeoisie en France . [...]
[...] Ils transparaissent enfin dans le champ politique où de nouvelles lignes de fracture sont apparues dans des groupes jusqu'alors socialement homogènes (classe ouvrière notamment) -En outre, la fin des Trente Glorieuses a clos le mythe de l'ascension sociale (la mobilité sociale observée dans les années 50 et 60 était en réalité essentiellement structurelle : besoin de cadres) et de la réduction des inégalités salariales (alors qu'un ouvrier pouvait espérer rattraper le salaire d'un cadre moyen en 30 ans, il lui faut aujourd'hui près de 300 ans C'est la fin du mythe de la société ouverte et de la moyennisation des sociétés qui a animé les Trente Glorieuses. Ainsi, on observe aujourd'hui un phénomène de stagnation des classes moyennes (dont beaucoup connaissent un certain déclassement), avec un très net infléchissement de la croissance du nombre de postes de cadres et une banalisation de leur statut (rupture avec la perspective de L. Boltanski pendant les Trente Glorieuses : Les cadres, la formation d'un groupe social). [...]
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