C'est une fiction, "Les Bienveillantes" de J. Littell, qui inspire les études qui suivent et qui visent à vérifier les justifications que son narrateur donne de son passé une fois qu'il est redevenu citoyen ordinaire. En effet, dans la bouche de ce personnage la même justification retentit comme un leitmotiv : placé dans les circonstances exceptionnelles d'un conflit armé et dans un encadrement hiérarchique drastique, un homme ordinaire, même philosophe à ses heures, amateur de musique raffinée et lecteur occasionnel de Kant, de Nietzsche, de Heidegger, en arrive, au nom de l'ordre et du devoir d'obéissance, à éteindre en lui toute pitié et du même coup toute humanité.
Telle est la ruse tendue à la raison kantienne quand, dans un cadre hypernationaliste – qui n'est évidemment pas celui de Kant -, elle est amenée à exalter l'identification du bonheur et du devoir, et surtout quand elle se soumet à de sordides calculs. Se retrouve, donc sous la plume du personnage principal Aue, l'argument bien connu du danger bolchevique planétaire, cet argument qui a aussi ébranlé en profondeur les convictions chrétiennes.
Dans ce qui suit, nous nous proposons plus précisément de nous consacrer aux processus qui déclenchent la violence de masse, en quittant momentanément le terrain de l'éthique et en nous référant à l'expérience de Milgram qui nous servira de fil conducteur dans l'immense production livresque qui couvre le domaine. Nous nous en remettons donc à des sources sociopsychologiques autant qu'à des sources historiques, ce qui n'est pas neuf, mais ne va pas de soi.
[...] Au moment où les hommes du 101e. ont comparu devant les juges, ils ont évidemment eu le temps de préparer leur défense et, les rêves d'omnipotence une fois chassés par la défaite et la reconstruction de l'Allemagne, ils ont pu revenir à une morale à échelle humaine placée sous contrôle social. Au terme de notre analyse, il apparaît clairement que l'étude synthétique et à tendance multicausale de Welzer est à la hauteur de ses ambitions et, faisant la part belle à la multiplicité des facteurs qui incitent à étouffer les scrupules des acteurs, a plus de chance de rencontrer la diversité de leurs motivations et la diversité de leurs niveaux d'engagements. [...]
[...] Horkheimer, Eclipse de la Raison, Paris, Payot J. Littell, Les Bienveillantes, Paris, Gallimard St. Milgram, Obedience to Authority : An experimental View , New York La Soumission à l'autorité, Paris, Calmann-Lévy H. Welzer, Les Exécuteurs. Des hommes normaux aux meurtriers de masse. Paris, Gallimard Ch. Thys D.J. Goldhagen, Les Bourreaux volontaires de Hitler ; Paris Seuil L'auteur est professeur de sciences politiques à Harvard. Devant des archives qui révèlent non seulement l'extermination de masse, mais en plus le déchaînement d'une férocité macabre et gratuite, D. [...]
[...] Pour étudier les profils potentiellement fascistes, il suit une méthodologie propre à la psychologie sociale en vigueur à l'époque. Outre la sélection significative des individus de manière à représenter les différentes couches de la population (2000 citoyens américains sur une durée de 4 ans), sa méthode combine questionnaires, entretiens personnalisés et statistiques. Sans doute le spécialiste en psychologie sociale y trouverait-il à redire, notamment dans ses rapports aux interprétations psychanalytiques sous-jacentes, mais à nos yeux, cette étude de l'idéologie reste exemplaire, parce que recouvrant les aspects quantitatifs autant que qualitatifs de la question du rapport à l'autorité. [...]
[...] Goldhagen apporte des arguments en faveur d'un fanatisme exacerbé affectant les acteurs pris individuellement. Et dès lors, même s'il s'en défend, en faveur d'une culpabilité généralisée du peuple allemand. Il est alors étrange qu'il ne se soit pas intéressé aux réflexions de Jaspers. En refusant l'approche socio-psychologique, il se conduit en historien de choc, non sans quelque témérité. Les descendants des victimes peuvent en effet devenir eux-mêmes des bourreaux. Nous n'épiloguerons pas sur ce terrain délicat, mais l'observateur de la politique contemporaine devinera à quoi nous faisons allusion. [...]
[...] On peut la suivre tout au long de son parcours meurtrier jusqu'aux procès qui l'ont suivi devant les cours de justice allemandes ans après. Les documents qui racontent son histoire autant que les témoignages recueillis parmi les survivants rendus à la vie civile, présentent une situation dans laquelle des hommes formés avant le national-socialisme et n'y adhérant pas avec un zèle exceptionnel, des hommes à l'abri d'un contact direct avec l'ennemi d'où aurait pu sourdre la haine[9], recevant même la possibilité de désobéir aux ordres, se conduisent en fin de compte comme des bourreaux lors de l'invasion de l'URSS. [...]
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