C'est en des termes simples que l'adage populaire prévalant au moyen-âge soulignait la prédominance de l'espace urbain, la ville, sur l'espace rural, la campagne. L'expression alors utilisée, « la ville rend libre », signifiait en effet à qui voulait bien l'entendre que le périmètre urbain est celui de l'affranchissement collectif et individuel.
Lieu de toutes les convergences, espace où se génèrent les liaisons, les échanges et les liens fondamentaux entre les hommes (commerce, services…), la ville est donc dès l'origine cet espace relativement clos où le lien social est privilégié. Si les toutes premières villes doivent leur développement à la présence d'une aménité géographique particulière, comme la plupart du temps le passage d'un cours d'eau, c'est aussi parce que leur fonction première est non seulement de concentrer un certain nombre de pouvoirs temporels et spirituels mais aussi de fournir aux hommes qui s'y réunissent une protection sociale contre les dangers extérieurs.
Dès lors, l'avènement du progrès scientifique, technologique et social ainsi que le développement de la modernité vont questionner, dès le XIXe siècle, le bien-fondé de l'exercice des pouvoirs dans les villes, la métaphore du « troupeau » étant alors utilisée pour caractériser les errements propres aux regroupements urbains. Or, le développement d'une époque actuelle dite « mémorielle », caractérisée par un nouveau rapport au temps et à l'espace avec le développement des médias et des nouvelles technologies de l'information et de la communication, contribue lui aussi à changer la nature des villes et la qualité du lien social qui s'y exerce. En jetant un tel doute sur la spécificité du lien social urbain, nous sommes finalement amenés à nous demander simplement pourquoi nous regroupons-nous dans des villes, si ce n'est, comme le penserait Jean-Paul Sartre, pour continuer à exister.
[...] Or, à l'entrée dans le XXI° siècle, la domination des nouvelles technologies de l'information et de la communication et des médias de masse impose des codes comportementaux tournés vers la consommation rapide et sans contrepartie de toutes sortes de flux. Déjà, ces N.T.I.C. contribuent à réduire la perception du temps et, avec les progrès des transports, dilatent considérablement la perception de l'espace. Devenues des pôles les plus grandes villes sont aujourd'hui bien représentées par ces espaces de transit impersonnels que sont les gares et aéroports, qui sont à la fois tous standardisés selon des impératifs sécuritaires, et tous symboles d'une société occidentale de l'homogénéité et de l'uniformité. [...]
[...] Les justes, Albert Camus. Les pauvres, Georg Simmel. Les règles de la méthode sociologique et Le suicide, Emile Durkheim. La barrière et le niveau, Edmond Gobelot. La grande transformation, Karl Polanyi. La crise de la culture, Annah Arendt. Pour commencer, l'histoire des villes montre qu'elles ont été conçues pour réunir les hommes afin qu'ils puissent réaliser qu'ils sont libres lorsqu'ils agissent ensemble. [...]
[...] En définitive, une nouvelle régulation publique urbaine tend à voir le jour, ce qui réoriente le lien social urbain dans des perspectives meilleures. Trois principes généraux encadrent cette nouvelle régulation des liens et liaisons entre les citadins : tout d'abord, il s'agit de renouveler ou recycler prioritairement les espaces précédemment urbanisés pour éviter les fractures urbaines, en imposant un nouvel esprit de l'urbanisme ; ensuite il s'agit de limiter les développements périphériques non organisés ; enfin, il s'agit de planifier les rapports de cette ville - centre avec son espace environnant, à la fois en termes de consommation/destruction d'espaces naturels et ruraux, mais aussi d'échanges non maîtrisés de prélèvements de ressources rares et de rejets non assimilables. [...]
[...] Avec l'avènement dans les grandes villes des principaux régimes totalitaires, tout devient culturel, tout est culturel et donc en somme rien n'existe en dehors de la ville souveraine de l'ordre du monde. Si les Empires tels l'Empire romain ont su apporter dans les campagnes européennes des acquis de civilisation, les Empires guerriers modernes auteurs de génocides ont faits des villes les chefs-lieux du massacre et de la barbarie, l'industrialisation sans limites ayant permis de créer des sociétés où le lien social se résume à un lien de subordination, comme dans l'un des plus célèbres films de Fritz Lang, Metropolis, où les ouvriers citoyens sont tous condamnés à l'esclavage capitaliste organisé et à la condition d'homme machine Par la suite, l'arrivée d'une condition postmoderne a considérablement modifié la perception individuelle de la ville et donc la nature du lien social urbain. [...]
[...] C'est ainsi bien à propos que nous pouvons souligner pour terminer la réelle perméabilité des espaces urbains aux flux, réseaux, et mouvement permanents qui inondent la condition urbaine d'une modernité liquide en même temps que leurs relatifs cloisonnements permanents, réalisés par l'homme, dans le but de se protéger (les murs), de se distinguer (les enclos), ou simplement de se réunir. Laissant ainsi plus à la place à la question du savoir-vivre que celle du vivre-ensemble la nouvelle question urbaine peut cependant omettre de poser des questions pourtant primordiales comme celle de l'origine des ségrégations, ghettoïsations et marginalisations. En tout état de cause, la ville fait apparaître le lien social comme une donnée nécessaire, mais fragile des sociétés humaines. [...]
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