Qu'on s'en réjouisse ou qu'on s'en inquiète, la redéfinition des postes et l'évaluation des salariés sur la base des compétences et non plus des seules qualifications, revient à ne plus seulement prendre en compte les capacités techniques mais aussi l'engagement de la « personne », de sa subjectivité, non plus seulement le « faire » mais aussi l'« être ».
Selon P. Zarifian, par exemple, alors que l'accent mis sur les qualifications relevait d'un compromis entre « mise en discipline » et « résistance négociée à cette dernière », le passage à la « logique compétence » renouvelle les modes de domination en mettant l'engagement subjectif au centre de l'activité de travail mais libère aussi de nouvelles potentialités en dotant l'individu « d'un pouvoir d'auto-organisation » qui ouvre de nouvelles possibilités d'initiative, de modulation, de détournement de perspectives et d'émancipation. Puisque l' « être » est mobilisé tout entier, ses « valeurs de vie » peuvent alors interférer avec les orientations et les pratiques de l'entreprise comme, par exemple, la priorité donnée au rendement.
A l'opposé de cette vision que certains pourront juger enchantée, J.P. Durand, insiste sur le fait que le passage à la logique compétence défendu au nom du recentrage de l'activité de travail sur l'individu, donc plus seulement sur les qualifications mais aussi sur les modalités de leur mise en oeuvre, implique le franchissement d'un seuil dans l'implication et l'évaluation des salariés. Ce n'est plus seulement la qualité et la productivité du travail qui sont évaluées mais le travailleur, son comportement, ses attitudes, son « savoir-être » et, l'imposition de cette norme comportementale, l'injonction à l'implication, à la loyauté, loin de rendre les rapports entre salariés et directions plus égalitaires, confirment et renforcent la relation inégalitaire constitutive du rapport salarial (...)
[...] Ibid p Et encore, pas tout à fait car il leur faut aussi adapter leur façon de dormir au couchage qui leur a été fourni ELIAS, Norbert, La civilisation des mœurs, Paris, Calmann-Lévy p. et La dynamique de l'Occident, Paris, Calmann-Lévy p subjectivité et les conceptions de l'individu évoluent. Mais le processus de civilisation marqué notamment par la modification de la morale et des critères d'honorabilité23 ne s'est pas fait tout seul et n'a pas concerné également et au même moment toutes les classes sociales. La civilité ne s'est pas diffusée d'elle-même, cette diffusion n'a été possible qu'au prix d'un travail à la fois pratique et symbolique d'imposition. [...]
[...] Mais se nourrir et boire ne sont pas les seules fonctions naturelles pour lesquelles le groupe impose des manières de faire. Ainsi le matin est l'occasion de rites de purification, une façon de renaître un peu tous les jours, bien différente de notre 12 DESCOLA, Philippe, Les lances du crépuscule, Paris, Plon p. p Ibid p p p petit-déjeuner, à laquelle il doit, dans une certaine mesure, se soumettre.18 Cette renaissance quotidienne commence par l'ingestion d'une boisson émétique. On doit ensuite se chatouiller le fond de la gorge avec un plume de façon à rendre tout ce qui a été bu dans le fleuve puis on est censé, de préférence accompagné d'un membre de la communauté avec lequel on a des relations privilégiées, déféquer dans ce même fleuve. [...]
[...] et LABOV, William, Sociolinguistique, Paris, Minuit p Mais il n'y pas que les mots, la façon de les prononcer et de les ordonner qui entrent en jeu. Dans son article, E. Marchal note aussi que le langage du corps - la façon de le porter, de le mouvoir, de l'habiller- est déterminant. S'il en est ainsi c'est que le corps est non seulement ce qui il y a de plus difficilement modifiable mais il est aussi censé exprimer l' être profond la nature de la personne Réalité sociale biologisée, il fonctionne comme un langage de l'identité naturelle qui n'est autre qu'un langage de l'identité sociale naturalisée.48 Un corps construit et agit de telle façon qu'il corresponde à la conformation légitime, un corps maintenu et qu'on contrôle, des émotions maîtrisées constituent autant d'indices d'une conformité potentielle.49Ce qui est évalué c'est l'écart entre le corps réel et le corps légitime et plus le premier est proche du second, plus l'évaluation a de chances d'être favorable. [...]
[...] Les désillusions de la méritocratie, Paris, Le Seuil p Ibid p. 85- CHAUVEL, Louis, Le destin des générations, Paris, PUF p., p Elle concède tout de même (p. 100) qu'il ne faut pas oublier que l'origine des compétences manifestées à un moment donné peut être fort peu méritocratique Mais ici encore on ne voit pas d'où viennent ces compétences : du talent ou des conditionnements sociaux ? 21 A travers cet exemple on entrevoit un des effets des usages sociaux des notions de compétence et de savoir-être qui n'est qu'un aspect des effets pratiques et symboliques de la dissémination de la théorie du capital humain : chacun est responsable de lui-même, de son corps, de son image, de son succès, de son destin,66 de sa formation, de son portefeuille de compétences Mais la reconnaissance de cette propension à être responsable de son employabilité est indexée à la reconnaissance de compétences de classe naturalisées. [...]
[...] De cela dépendent leurs chances de se voir attribuer du travail et d'établir un lien relativement stable avec les entreprises. Les évaluations réalisées par les chargés de terrain le montrent clairement parce que ce ne sont pas les attitudes des enquêteurs en phases de recrutement ou de passation des questionnaires qui sont évaluées elles sont rarement observées et les enquêteurs savent régler leur comportement quand ils se savent observés- mais leur attitude générale en dehors de la situation de travail elle-même. [...]
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