Définie comme l'ensemble des méthodes mathématiques de recueil et de traitements de données réelles, la statistique permet à l'économiste la prévision ou au sociologue l'interprétation du monde social. Il y a en effet dans la statistique une mine de renseignements utiles pour le sociologue. Mais est-ce à dire que le lien entre statistique et sociologie est évident ? Répondre à cette question suppose d'une part de cerner la nature de ce lien et d'autre part de s'interroger sur les ressorts d'une éventuelle conflictualité entre les deux disciplines
[...] La statistique précède la sociologie. D'aucuns voient en elle une mère pour la sociologie. Ceux des sociologues qui concluraient un mariage d'amour avec les tableaux de chiffres s'opposent aux tenants d'un mariage de raison . La statistique est-elle une sociologie qui s'ignore ? Le problème épistémologique fondamental du sociologue durkheimien est l'objectivation ; c'est à dire le processus par lequel il approche le monde en s'efforçant de rompre avec les notions communes et de construire son objet afin de traiter des faits sociaux comme des choses En regroupant les individus sur lequel il a recueilli des informations et en les agrégeant et les catégorisant, le statisticien fait, tel Jourdain, de l'objectivation sans le savoir. [...]
[...] Gollac rappelle la critique de Becker qui, dans Outsiders, notait le manque de distinction patent dans le fichage policier entre les vrais délinquants juvéniles et les jeunes qui les fréquentent et qui peuvent être tous ensembles arrêtés lors d'une descente de police. Autant dire avec Cicourel que la statistique ne bénéficie pas d'une présomption de rigueur particulière, d'autant qu'indépendamment de la subjectivité du statisticien ou du juriste qui l'inspire, la matière sociale ne se laisse pas aisément quantifier et catégoriser. Les individus peuvent se monter réfractaires au travail statistique. [...]
[...] Chiffres, pourcentages, proportions ont effectivement la fâcheuse habitude de servir le politique au sens large (les institutions et la classe politique, mais aussi les media). Un exemple flagrant de cette liaison dangereuse de la statistique avec le politique est celui de la représentation des minorités raciales dans les pays anglo-saxons. Dans son article race, ethnicité dans les recensements aux États-Unis, Canada et Grande-Bretagne (in Sociétés contemporaines, 1997), Patrick Simon expose clairement les ambiguïtés d'un recensement prenant en compte les origines des individus. [...]
[...] Mais on ne saurait s'unir uniquement pour porter une robe seyante. Et c'est un mariage de raison, fondé sur un contrat d'exigences de la sociologie à l'égard de la statistique, qui explique le mieux la relation. On ne pourrait plus marcher s'il fallait réinventer la marche à chaque pas Ainsi s'exprime François Héran quand il s'efforce d'expliciter ce que sont les coûts de construction des outils et des objets de travail du sociologue. L'utilisation par Durkheim de données sur le suicide immédiatement disponibles a en effet représenté une économie considérable. [...]
[...] Toutefois, on peut en dire autant de la plupart des sciences collaboratrices de la sociologie : le droit, l'histoire, la science politique etc. Sans tomber dans le désormais éternel discours braudélien sur la nécessaire coopération entre disciplines, on saurait inventer sociologue et statisticien à se garder d'entretenir des querelles quand elles sont stériles. Néanmoins, il est vrai que les critiques sociologiques à l'égard de la statistique, le plus souvent fondées, sont extrêmement productrices de sens et qu'elles contribuent à étendre toujours plus le champ couvert par la sociologie. [...]
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