Goffman accorde au corps une place prépondérante au sein de son ouvrage La mise
en scène de la vie quotidienne : Les relations en public. Il est courant que l'on étudie le corps
en sociologie, mais Goffman l'appréhende différemment : là où l'on prend habituellement le
corps, ou plutôt ses représentations, comme objets, Goffman s'intéresse avant tout aux
interactions et ce n'est que parce que le corps y joue un rôle important qu'il est évoqué.
Il n'y a rien de surprenant à ce que Goffman, basant son analyse sociologique sur la
métaphore théâtrale dans La présentation de soi, accorde une importance capitale dans Les
relations en public à ce vecteur de la représentation par excellence qu'est le corps,
apparaissant de façon immédiate et étant le seul aspect d'un individu auquel autrui pourrait
prétendre accéder entièrement. L'héritage de la philosophie classique faisant du corps un
simple « vaisseau », un « tombeau », doit être momentanément abandonné : chez Goffman le
corps n'est aucunement déprécié et a sa valeur propre. C'est parce qu'il redonne au corps cette
place que Goffman peut se livrer à une analyse « éthologique » des comportements humains,
parce qu'il se libère de la doctrine qui voudrait que l'étude de ce qu'est réellement fait de
l'homme passe par une analyse des interrelations au travers du langage.
Cette originalité, donne au corps un rôle ambivalent dans la sociologie de Goffman : il
est à la fois siège de l'expression de l'individualité ( il fait par exemple partie des « territoires
du moi » ), et pourtant il joue un rôle prépondérant dans l'affirmation du groupe, et dans
l'interaction en générale.
[...] ) sont des moyens d'adopter une position ou une démarcation dans une situation et, en même temps de l'indiquer. [...]
[...] Selon une logique proche de celle de la dialectique hégélienne du maître et de l'esclave, l'intrusion, la souillure ou la contamination réfléchies, réalisées dans le but évident d'offenser, correspondent à un désir d'abaisser autrui pour se grandir soi-même. Le corps, parce qu'il est totalement accessible, semble ouvrir les plus grandes possibilités d'offense, dont les cas extrêmes seraient le viol9 et la souillure au moyen de la défécation. L'affirmation de soi est double : affirmation face aux lois et aux usages que l'on bafoue en commettant de tels actes mais aussi affirmation face à autrui, face à une autre individualité. [...]
[...] Si le corps se trouve être un sanctuaire, objet le plus protégé par un individu toujours en alerte, il est également un outil de violation privilégié de la sacralité d'Autrui. Une bonne part des modes de violation que Goffman énumère4 sont en effet en rapport direct avec le corps. Ainsi une simple proximité corporelle peut constituer une violation de l'espace personnel; de même, un contact corporel peut être perçu comme une intrusion . D'autre part, toutes les sécrétions corporelles, telles que la sueur, la morve, l'urine etc. [...]
[...] II Le corps, outils de l'interaction. Le corps a également un double rôle au niveau du groupe : il permet d'une part d'établir une communication de façon informelle, d'autre part de donner à voir un groupe, ou un couple, de faire apparaître les signes du lien Le langage du corps Goffman, adoptant une démarche proche de celle de l'éthologie ( il dit en effet prendre pour sujet animal humain porte une attention particulière au langage corporel que les naturalistes étudient fréquemment lorsqu'ils considèrent les interrelations animales. [...]
[...] Ce paradoxe s'explique par la nature même du corps : celui-ci est à la fois l'incarnation de l'unicité de chaque agent et la seule part de lui qui soit accessible aux autres. C'est l'une des forces de l'exposé de Goffman : repousser l'héritage philosophique faisant du langage le propre de l'homme, réhabiliter le corps en réfutant les thèses de ceux qui voudraient n'en faire qu'un simple contenant. Le corps est sacré car, au même titre que l'esprit, il est l'individu. [...]
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