Dans le cadre des réflexions sur les liens entre musique et identités, on a choisi de s'intéresser ici au reggaeton. Le reggaeton étant aujourd'hui le genre musical le plus répandu en Amérique Latine, il semble intéressant de chercher à comprendre de quelle(s) identité(s) culturelle(s) cette musique est porteuse, quelle(s) représentation(s) elle induit, quelle(s) symbolique(s) elle exprime.
Le reggaeton est un genre musical urbain apparu récemment (dans le milieu des années 1990 environ) au Panamá ou à Puerto Rico (il existe une réelle controverse quant au lieu d'apparition effective du genre). Il s'agit d'un mélange de reggae, de rap, de hip-hop, de dancehall, auquel s'ajoutent parfois d'autres styles musicaux (cumbia, batucada, techno, etc). Afin de comprendre l'origine du reggaeton et le contexte de son apparition, revenons brièvement sur deux des styles dont il dérive : le reggae et le rap. À l'origine du reggae était le mento, un rythme apparu dans les ghettos de Kingston dans les années 1950. Cette musique, expression identitaire d'un groupe marginal, donne naissance au reggae dans les années 1960. Mélange de mento, de musique noire américaine (rhythm'n blues), de ska et de rock steady, ainsi que de musiques africaines traditionnelles ayant été apportées par les esclaves noirs en Jamaïque, le reggae apparaît dans le contexte d'une recherche identitaire de la population noire, une rébellion des consciences face à l' ''oppression blanche'' (avec l'apparition de mouvements tels que les Black Panthers).
Le rap, autre musique dont dérive le reggaeton, est, lui aussi l'expression de secteurs marginalisés de la société : il est apparu dans les milieux noirs défavorisés des Etats-Unis dans les années 1970-1980. Ce bref rappel des deux principales sources du reggaeton nous permet d'ores et déjà de mettre en évidence deux traits communs à l'identité portée par ces styles musicaux : la marginalité (secteurs défavorisés de la société, ghettos), et l'identité noire. Enfin, il convient de souligner la masculinité portée par ces deux genres musicaux, qui sont principalement des musiques ''d'hommes'' dont les femmes sont exclues.
[...] Il est déjà original que des reggaetoneros aient conscience de la construction de la masculinité dans le reggaeton[15], mais, quand deux d'entre eux entreprennent de déconstruire les représentations de la masculinité portées par ce genre, il s'agit d'une véritable révolution. Et en effet, Calle 13, par bien des aspects, semble bouleverser les codes du reggaeton : l'un des exemples les plus frappants en est le fait que, alors que le reggaeton est un genre hyper-hétérosexuel largement teinté d'homophobie, le groupe Calle 13 a joué lors de la Gay Pride de Puerto Rico, le 4 juin 2006, et s'est déclaré heureux de partager ce moment avec la population homosexuelle, tout en déclarant que les préjugés homophobes sont le résultat d'un manque d'assurance (quant aux préférences sexuelles)[16]. [...]
[...] La production du reggaeton est donc quasi exclusivement masculine. De plus, si le reggaeton est produit majoritairement par des hommes, l'homme est aussi la figure centrale dans le discours de ce genre musical, autour de laquelle s'articulent d'autres éléments typiques d'une représentation axée sur la domination masculine et l'omniprésence de l'argent: femmes en bikinis, sexe (scènes de perreo plus que suggestives), paroles à forte connotation sexuelle (parfois très explicites : ''Papi arráncame el calzón/El malvado emocionado va y le muerde la cadera/Y ella va y le dice:/Esto es tuyo cuando quieras/Así que:/Coja, toque, jale, chupe./Porque esto es tuyo papi para que te lo disfrutes ( . [...]
[...] Le reggaeton va-t-il devenir un vecteur identitaire au niveau mondial? La réponse réside peut-être dans le fait que reggaeton te da a entender que seas de la raza que seas siempre está mezclado, porque es tanto para negros como para blancos el reggaeton[20]''. Bibliographie NIEVES MORENO Alfredo, 'brouillon'' du chapitre 10 man lives here: Reggaeton's hypermasculine resident'') du livre Reggaeton par Raquel Z. Rivera, Wayne Marshall et Deborah Pacini Hernandez, Duke University Press (Très obligeamment envoyé par Raquel Rivera). RIVERA Z. [...]
[...] Ici, le reggaeton est clairement le moyen de toucher les jeunes électeurs. Dans la même veine, voir notamment le tout récent reggaeton de Barack Obama destinée aux électeurs latinos : m/watch?v=A0dMxqgS1- 8http://fr.youtube.com. Sur ce point, se référer à la partie III). Alfredo Nieves Moreno. Raquel Z. Rivera, ''Will the real blanquitos please stand up? : Class, race and reggaeton'', http://reggaetonica.blogspot.com/2006/08/will-real-blanquitos- pleas_115637030500548739.html. Comme le montre une interview du chanteur Residente : pienso que la gente no debe estar tan consciente del rol que están asumiendo en cuestión de género. [...]
[...] Rivera, Wayne Marshall et Deborah Pacini Hernandez, Duke University Press (cf bibliographie) http://fr.youtube.com/watch?v=oUzYx_kyC90 : L'interprétation en elle- même étant tout aussi explicite que les paroles. Sur ce point, voir La gasolina et Lo que pasó pasó de Daddy Yankee, où la femme est présentée comme ''asesina'', ''cazadora'', ''abusadora'', etc. Dans La gasolina notamment, le jeu de mot sur ''gasolina'' que l'on peut prendre au sens sexuel ou au sens de luxe et d'argent. Sur la diversité des représentations de la femme dans le discours du reggaeton, voir ''Análisis de la imagen de la mujer en el discurso del reggaeton'' de María José Gallucci. [...]
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