Cette observation ethnographique a eu lieu les jeudis 25 mars et 1er avril au supermarché Lafayette Gourmet, situé au premier étage des Galeries Lafayette, au 48 boulevard Haussmann à Paris. Elle visait à observer, dans un sens large, les attitudes des célibataires dans un lieu « public ». En effet, chaque jeudi soir, entre 18h30 et 21h, ce supermarché se transforme en lieu de rencontre entre célibataires : les personnes à la recherche de l'âme sœur ont la possibilité de faire leurs courses avec un panier bien particulier, puisqu'il est rouge et permet ainsi de distinguer les célibataires. L'idée est de donner à ces derniers la possibilité de faire des rencontres malgré un emploi du temps chargé, et d'utiliser ainsi le temps passé au supermarché à la recherche de l'homme ou de la femme idéal(e). En outre, les personnes choisissant de faire leurs courses avec ce panier s'affichent clairement en tant que célibataires : on peut penser que cela facilite les rencontres, puisqu'une des toutes premières questions que chacun se pose quand il rencontre quelqu'un qui lui plaît est si cette personne est seule ou pas.
J'ai choisi ce terrain car il me semble s'inscrire dans l'évolution prise récemment par ce genre de rencontres, et en être un bon exemple. En effet on assiste depuis quelques années à une multiplication et à une diversification des rencontres entre célibataires : les soirées speed dating (où les participants n'ont que sept minutes pour faire connaissance avec chaque participant du sexe opposé) ou lock and key (lors desquelles il s'agit de retrouver la personne du sexe opposé dont la clé correspond à son cadenas, ou inversement) sont apparues il y a un ou deux ans, rendant ainsi un peu dépassées, du moins dans les grandes villes, les agences matrimoniales. En outre, l'Internet a également contribué à faciliter ces rencontres. Il faut ajouter que dans les grandes villes surtout, notamment à Paris, on compte de plus en plus de célibataires, ceux-ci devenant même une véritable cible commerciale pour le marché, notamment alimentaire (mise sur le marché de produits pour une personne). Ceci explique la multiplication du nombre de soirées pour célibataires. C'est ce qui est devenu un « phénomène de société » qu'il me paraissait intéressant d'étudier. Néanmoins, le terrain choisi a une originalité par rapport aux nouveaux types de rencontres entre célibataires, puisque celles-ci ont lieu dans un lieu public, accessible à toutes les personnes désireuses de faire leurs courses, ce qui signifie donc au vu de tous. Il sera donc intéressant d'observer la réaction des personnes ayant un panier « normal ».
Afin de pouvoir observer de la meilleure façon possible, j'ai choisi la méthode de l'observation participante, qui a été de deux sortes. En effet lors de ma première observation j'ai d'abord pris un panier « normal » afin d'indiquer que je suis uniquement venue pour faire mes courses, ce qui m'a permis d'observer les personnes qui avaient un panier rouge de célibataire sans prendre moi-même le risque de me faire aborder. Ensuite, j'ai pris un panier rouge afin d'afficher clairement mon célibat et vérifier ainsi les sentiments, impressions que j'avais eues lorsque j'avais un panier normal. Le jeudi suivant j'ai d'abord pris un panier rouge, puis un panier normal, afin de voir si ce que j'avais observé la semaine précédente était dû à l'heure ou pas (en effet, on peut supposer qu'à 18h30, alors que les gens ne sont pas tous encore sortis de leur travail, il ne se passe pas les mêmes choses qu'à 20h30-21h). J'ai également fait mon observation de façon incognito : ainsi, lorsqu'on m'a abordée alors que j'avais un panier rouge, j'ai choisi de dissimuler le fait que je menais une observation et je me suis fait passer pour une célibataire qui était venue au Lafayette Gourmet pour rencontrer des gens et, accessoirement, faire ses courses.
Grâce à cette observation, je cherche à montrer que les individus, en fonction de deux variables sociologiques lourdes (sexe et âge) ont des façons différentes d'aborder la séduction, en particulier dans un lieu public tel que le supermarché Lafayette Gourmet.
Mes hypothèses de départ, que je souhaite tester grâce à cette observation, sont les suivantes : tout d'abord, je suppose que les hommes et les femmes ont des comportements différents lorsqu'il s'agit de faire des rencontres. On peut penser en effet qu'ils s'observent différemment, qu'ils n'ont pas les mêmes façons d'aborder des célibataires qui leur plaisent (différentes « techniques d'approche »). Je suppose ainsi que les hommes vont plus vers les femmes qu'inversement. En outre, je pense qu'il y a plus de femmes que d'hommes qui viennent lors de ces rencontres, notamment parce qu'elles doivent être mieux informées (rôle joué par les magazines féminins).
Je cherche également, au travers de cette observation, à comparer les différents comportements des jeunes (20-30 ans) et des « vieux » (40 ans et plus) dans un tel lieu de rencontre. Il doit probablement varier selon l'âge, puisqu'une personne de 40 ans a souvent déjà été mariée ou a vécu en couple assez longtemps, ce qui est moins évident quand on a une vingtaine d'années. Ainsi, on peut supposer que les hommes et les femmes jeunes et vieux n'envisagent pas ces rencontres de la même façon, ce qui risque d'influer sur leur comportement à l'intérieur du magasin. A ce propos, je pense que ce sont surtout des personnes de 40-50 ans, hommes ou femmes, qui viennent là, car les jeunes d'une vingtaine d'années font des rencontres « dans la vraie vie » peut-être plus facilement. L'observation réalisée va me permettre de tester la validité de ces hypothèses. Ainsi, tout d'abord il convient de présenter et d'analyser précisément ma position d'observateur : en effet, une observation est très personnelle. Il faut être conscient que l'observateur n'est jamais totalement objectif pour bien comprendre chaque observation. C'est un préalable obligatoire. Ensuite, dans un second temps, nous ferons un compte-rendu détaillé de ces deux observations au Lafayette Gourmet. Enfin nous les analyserons de manière comparative afin de dégager des systèmes d'opposition.
[...] En effet lors de ma première observation, j'ai d'abord pris un panier normal afin d'indiquer que je suis uniquement venue pour faire mes courses, ce qui m'a permis d'observer les personnes qui avaient un panier rouge de célibataires sans prendre moi-même le risque de me faire aborder. Ensuite, j'ai pris un panier rouge afin d'afficher clairement mon célibat et vérifier ainsi les sentiments, impressions que j'avais eues lorsque j'avais un panier normal. Le jeudi suivant j'ai d'abord pris un panier rouge, puis un panier normal, afin de voir si ce que j'avais observé la semaine précédente était dû à l'heure ou pas (en effet, on peut supposer qu'à 18h30, alors que les gens ne sont pas tous encore sortis de leur travail, il ne se passe pas les mêmes choses qu'à 20h30-21h). [...]
[...] Par exemple, lors de ma seconde observation, je me suis notamment focalisée sur un jeune homme d'une trentaine d'années (que j'ai appelé Olivier pour la compréhension de l'observation) qui a plusieurs fois surpris mon regard et qui a dû en être gêné. On peut supposer qu'il aurait peut-être agi autrement s'il ne se savait observé. Néanmoins, je me suis déplacée dans le magasin, faisant semblant de m'intéresser aux produits vendus, même si mon panier est resté totalement vide le premier jeudi. Le fait que mon panier ne contienne rien a peut-être involontairement attiré l'attention sur moi, surtout lorsqu'il s'agissait du panier normal, en fer grillagé doré (on peut aisément voir le contenu). [...]
[...] Grâce à cette observation, je cherche à montrer que les individus, en fonction de deux variables sociologiques lourdes (sexe et âge) ont des façons différentes d'aborder la séduction, en particulier dans un lieu public tel que le supermarché Lafayette Gourmet. Mes hypothèses de départ, que je souhaite tester grâce à cette observation, sont les suivantes : tout d'abord, je suppose que les hommes et les femmes ont des comportements différents lorsqu'il s'agit de faire des rencontres. On peut penser en effet qu'ils s'observent différemment, qu'ils n'ont pas les mêmes façons d'aborder des célibataires qui leur plaisent (différentes techniques d'approche Je suppose ainsi que les hommes vont plus vers les femmes qu'inversement. [...]
[...] En outre, l'âge est également une variable explicative des comportements des individus dans ce lieu, puisque j'ai observé une assez nette différence entre les personnes ayant entre 20 et 40 ans, qui sont dans l'ensemble assez à l'aise, font des rencontres, et celles de plus de 40 ans pour qui la venue dans ce lieu semble être un exercice assez difficile qui, en plus, ne débouche souvent sur rien. Néanmoins, ces deux observations présentent des limites dont il faut avoir conscience. Tout d'abord, si le fait d'avoir fait deux observations m'a permis de confirmer dans la plupart des cas, mais aussi parfois d'infirmer certaines tendances, en revanche on peut se demander si ces deux soirées au Lafayette Gourmet ont été vraiment suffisantes: pour avoir la certitude que les différences observées entre les comportements étaient réellement constantes, il aurait fallu étaler cette observation sur quatre jeudi soir au moins. [...]
[...] En outre, les jeunes semblent être plus rodés à cet exercice, car ils abordent et se font aborder. En revanche, les vieux, surtout les personnes de plus de cinquante ans qui, on l'a vu, sont assez rares ne font généralement aucune rencontre : ils n'accostent personne, et personne ne vient non plus les voir. On peut penser que c'est un exercice plus difficile pour eux. En effet ils doivent avoir eu des histoires longues auparavant, sont peut-être divorcés ; ainsi peut-être ne sont-ils plus aussi habitués à la séduction que le sont les jeunes. [...]
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