Pratiquer le surf, c'est d'abord faire l'expérience du sport en tant que tel et du cortège d'émotions qui l'accompagnent jusqu'à développer une passion que nous partageons et qui incite à créer une plate-forme commune où nous sommes capables de définir ce qui nous réunit et ce que nous aimons faire. Il y a la mise en forme d'un « nous » qui nous individualise, c'est-à-dire que la première forme de cette communauté sportive renvoie aux passionnés de surf (et pas « les surfeurs » qui renvoie à un groupe social territorialisé). Dans ce « nous », il y a évidemment une dimension narcissique propre à ce groupe « vaguement » défini, c'est-à-dire défini par le jeu avec la vague, les divagations et dont les contours ne sont pas totalement achevés.
La pratique du surf nous invite à interroger ce que nous entendons par ce groupe « vague », cette passion autour de ce sport qui n'est pas un objet de consommation (qui peut l'être), mais qui définit un mode de vie et peut-être un esprit de « contre-culture », ce que nous aurons à analyser. Nous proposons de définir philosophiquement ce qu'est la « pratique du surf » afin de comprendre les enjeux politiques et sociétaux qui se glissent sous ce mode de vie. L'ambition de ce travail est de montrer que cette pratique définit un groupe déterritorialisé, « nomade » qui résiste à la tentation de l'attroupement, de la tribu avec son territoire propre, localisé et défendu. La pratique ouverte du surf invite à concevoir le rôle politique de cette communauté qui a pour destination de définir une éthique nouvelle. L'éthique n'est pas une simple charte déontologique sportive, elle transcende la logique de territoire pour devenir une attention à l'élément « Terre ». La pratique de surf est d'emblée portée par cet horizon transfrontalier, du fait de sa situation sur l'eau.
Ici, il y a une donnée commune au philosophe et au surfeur, puisque tous deux recherchent un nouvel équilibre, l'un devant la vague l'autre devant les concepts qui se déconstruisent et se reconstruisent, brefs qui se fluidifient. Le flux et le reflux de la vague d'un côté, les concepts, les percepts de l'autre. Gilles Deleuze parle de la « géophilosophie », c'est-à-dire de cette attitude philosophique qui consiste à réinterroger les processus de territorialisation, de déterritorialisation et de reterritorialisation.
« Les mouvements de déterritorialisation ne sont pas séparables des territoires qui s'ouvrent sur un ailleurs, et les procès de reterritorialisation ne sont pas séparables de la terre qui redonnes des territoires. Ce sont deux composantes, le territoire et la terre, avec deux zones d'indiscernabilité, la déterritorialisation (du territoire à la terre) et la reterritorialisation (de la terre au territoire). On ne peut pas dire lequel est premier ».
Quelle est la différence entre la terre et le territoire ? Le territoire est déjà un morceau de terre, mais il marque une appropriation par un groupe social qui le défend. Etymologiquement, le mot territoire vient de ce qui terrifie, il inscrit la frontière comme un indépassable. Lorsqu'il y a territoire, il y a transgression possible de ce territoire et donc défense par rapport à un élément étranger qui n'y est pas le bienvenu. La pratique du surf est-elle prisonnière d'une logique de territoire, c'est-à-dire d'une logique d'appropriation de la vague ou est-elle au contraire inscrite dans une logique de souci de l'environnement ? Nous nous proposons d'analyser la signification profonde de la pratique du surf en dépassant le simple fait de l'envisager comme un simple artefact individualiste de la post-modernité.
[...] Dans la singularité de son rapport à la vague se joue quelque chose qui ressort de la conduite sociale. La conscience du surfeur transforme le monde : autrement dit la conscience change de corps ou, si l'on préfère, le corps en tant que point de vue sur l'univers immédiat inhérent à la conscience se met au niveau des conduites Il y a un déplacement de la notion de corps comme immédiateté perçue vers une nouvelle totalisation de l'expérience. La conscience est altérée par cette expérience qui se présente à elle, il y a une élévation. [...]
[...] Il suppose que nous autres hommes siégeons au centre d'un système de choses qui gravitent autour de nous, nombrils de l'univers, maîtres et possesseurs de la nature Plus profondément, les enjeux fondamentaux des politiques publiques portent sur la manière d'habiter : comment faire pour éviter de trop détériorer l'environnement? Ici surgit une nouvelle forme de contrat, qui n'a rien de juridique, et qui désigne un pacte tacite fait entre tous les habitants de la planète ayant cette condition commune. Habiter signifie penser la façon dont on peut s'intégrer dans un environnement social. [...]
[...] La mort limite les manifestations du narcissisme et impose une distance. Dans le cas du surfeur, il ne se regarde pas dans la vague transparente, il est regardé par elle. L'image est dialectique : il y a un échange, un chiasme imagier et en même temps une traversée (dia- lectique, le préfixe dia indiquant cette traversée). L'espace émotif dépasse l'ensemble de ces clichés sur le surf qu'il faut déconstruire. L'image de cette pratique est à travailler, elle implique une politique qui est à discuter au sein d'un collectif, en l'occurrence la fédération de surf qui peut être ce lieu. [...]
[...] Franck, Pradelle, Lavigne, Paris, éditions de Minuit p Edgar Morin, Anne-Brigitte Kern, Terre-Patrie, Paris, éditions du Seuil p Michel Serres, Le Contrat naturel, Paris, éditions Flammarion p Bernard Stiegler, Aimer, s'aimer, nous aimer, du 11 septembre au 21 avril, éditions Galilée p. 37. [...]
[...] Nous proposons de définir philosophiquement ce qu'est la pratique du surf afin de comprendre les enjeux politiques et sociétaux qui se glissent sous ce mode de vie. L'ambition de ce travail est de montrer que cette pratique définit un groupe déterritorialisé, nomade qui résiste à la tentation de l'attroupement, de la tribu avec son territoire propre, localisé et défendu. La pratique ouverte du surf invite à concevoir le rôle politique de cette communauté qui a pour destination[2] de définir une éthique nouvelle. [...]
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