Historien et sociologue français né en 1940, Pierre Birnbaum est depuis peu professeur invité à l'université de Columbia aux Etats-Unis, après avoir enseigné pendant des années la sociologie politique à l'Université Paris-I et à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris. Ses recherches portent sur « la construction de l'Etat, la définition de la citoyenneté et l'expression des identités, notamment religieuses, dans l'espace public. » Il a plus particulièrement étudié les rapports des Juifs avec l'Etat en France. Les sommets de l'Etat, essai sur les élites du pouvoir en France publié pour la première fois en 1977 puis complété de deux postfaces successives, en 1980 et en 1993 est l'un de ses premiers ouvrages.
L'objectif de Pierre Birnbaum dans cet essai est d'appréhender la nature de l'Etat en France à travers l'analyse de la classe politique au sens large (c'est à dire aussi bien le personnel politique traditionnel que les membres de la haute administration). Il entend démontrer que l'Etat n'est pas « un monstre froid » ou une institution monolithique régie comme une mécanique : son fonctionnement et son action dépendent beaucoup de la composition du personnel qui le dirige. Il s'agit donc d'étudier les grandes tendances au sein de la classe politique française, de voir les évolutions qu'elle a connues au cours du temps et les conséquences de ces changements sur le fonctionnement de l'Etat.
Quels rapports entretiennent le personnel politique classique et les hauts fonctionnaires ? Peut-on parler d'homogénéité, voire de fusion, ou au contraire d'hostilité entre les différentes classes sociales qui composent l'élite politique du pays ? Avec ses questions, il pose, in fine, le problème de la cohésion de l'Etat et sa légitimité.
[...] La création de l'ENA contribue, en plus d'assurer l'institutionnalisation et l'homogénéité de la haute administration, à accentuer la dissociation avec le pouvoir politique, vis-à-vis duquel les hauts fonctionnaires se croient et se veulent neutres, au nom de l'intérêt général. Sous la IVe République, les cabinets ministériels sont essentiellement constitués de hauts fonctionnaires. Ainsi, sous les IIIe et IVe Républiques, l'entrée des classes moyennes et des professions libérales en politique grâce aux partis de masse s'accompagne bien d'une dissociation des pouvoirs : le personnel politique professionnalisé s'éloigne de la haute administration et du pouvoir économique. Le personnel politique est profondément hétérogène. Deux ensembles nouvellement professionnalisés s'opposent donc sous la IVe République : la classe politique contre l'administration. [...]
[...] Il rejoint ainsi la sociologie anglo-saxonne de l'élite qui entend à partir des années 1980 dépasser le clivage entre monistes et pluralistes par une étude de l'ensemble du champ institutionnel à travers le prisme des élites, c'est à dire en développant les liens de l'élite ou des élites avec l'Etat et le régime politique. En abandonnant le découpage traditionnel entre les études portant sur les personnels politiques (parlementaires, ministres ou présidents) et celles portant sur la haute administration pour analyser les rapports entre ces deux dimensions du pouvoir politique qui cohabitent au sommet de l'Etat, Pierre Birnbaum sort ainsi des sentiers battus de la sociologie politique française[20]. [...]
[...] Auparavant, sous la monarchie de Juillet, la classe sociale dominante contrôlait l'ensemble de la société et donc l'appareil d'Etat, grâce au suffrage censitaire. À cette époque, la haute administration n'est pas indépendante : elle dépend fortement du pouvoir politique et entretiens des liens étroits avec le monde des affaires. On peut donc parler de quasi- fusion des pouvoirs. Avec l'instauration du suffrage universel et la démocratisation qui se poursuit sous la IIIe et la IVe République, un personnel spécifique et autonome[2] issu des classes moyennes plutôt que du monde des notables entre au service d'un Etat qui peut prétendre à l'indépendance. [...]
[...] Wright Mills (1916-1962) qui a décrit dans L'élite du pouvoir (1956) la collaboration à la tête de la société (américaine) des politiciens, des industriels et des chefs militaires. Dans l'analyse de Pierre Birnbaum, les hauts fonctionnaires ont pris la place des chefs militaires, et pour cause : C. Wright Mills le reconnaît, à la différence notamment de la France, les Etats-Unis connaissent un vide administratif en raison des liens très étroits entre sphère politique et haute administration, entretenus par le spoil system. Pour C. [...]
[...] Pourtant, la sociologie politique s'est depuis longtemps intéressée à l'étude des élites et la discipline s'est progressivement structurée, notamment à partir des travaux de Pareto ou de Mosca, mais selon les traditions intellectuelles nationales on note d'importants contrastes. À l'opposé des chercheurs français qui utilisent timidement le terme d'élites et privilégient d'autres objets d'étude, dans le monde anglo- saxon le concept d'élite s'est progressivement imposé comme une alternative à celui plus connoté de classe dirigeante et l'association entre pouvoir et élite est acceptée. [...]
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