Un exemple de production d'opinion publique : le conflit israëlo-palestinien (fin 2000). La vraie victoire d'Israël ne réside-t-elle pas dans sa capacité à imposer depuis cinquante ans une problématique dominante dans l'opinion internationale ? Quels détournements de sens ont pu construire ce consensus d'adhésion unanime au 'processus de paix' d'Oslo, dont la débâcle s'annonçait pourtant très lisiblement dès la signature des accords ?
[...] Le propos présent n'a pas pour objet de défendre une position particulière dans ce conflit, mais seulement de démontrer l'importance du discours public et de la maîtrise de l'opinion internationale, comme instrument majeur, afin de garder une position influente dans le champ de lutte politique mondial. Edward Said tente d'expliquer les raisons pour lesquelles la tragédie du peuple palestinien, unilatéralement dépossédé de sa souveraineté territoriale et contraint aujourd'hui d'accepter l'existence hégémonique de l'Etat d'Israël, n'a toujours pas été reconnue dans l'opinion internationale. Quels moyens de persuasion l'Etat d'Israël a-t-il employés pour justifier le non-respect des résolutions 242 et 337 de l'ONU ? Mais avant tout quels sont ces moyens que les dirigeants et intellectuels palestiniens n'ont pas su employer ? [...]
[...] Selon Edward Said, ces moyens négligés sont précisément la communication d'une contre- problématique dans l'opinion internationale. En effet le caractère aléatoire, malléable et versatile de l'opinion internationale peut représenter un avantage considérable pour des acteurs militairement ou financièrement démunis : car si les problématiques dominantes peuvent être renversés au gré des crises, la situation internationale, comme nous l'avons écrit précédemment, se caractérise par une série de tensions globales ou régionales et par l'absence d'un réel élément pacificateur (l'ONU ne jouant un rôle que lorsqu'elle y est autorisée par les acteurs les plus puissants du champ) ; l'artefact de l'opinion internationale se révèle donc parfois plus utile que la puissance de feu. [...]
[...] C'est grâce à cette ignorance, ou à ce désintérêt, que la Chine achève tranquillement et ouvertement le génocide tibétain (là encore, tout est question de définitions), que le gouvernement américain maintient un embargo qui a déjà causé la mort de plusieurs millions de civils irakiens, et que la guerre contre le terrorisme entamée en septembre 2001 laisse libre court à des propos d'un anachronisme pour le moins douteux. Si l'on note, pour finir, la précarité et le caractère versatile de éthos national (puisqu'un tel système de valeurs ne peut exister dans une ignorance générale de la situation internationale, éthos de classe ne trouve pas d'équivalent à ce niveau), sachant que la sympathie générale d'un peuple à l'égard d'une nation peut se renverser au gré des actualités Nous sommes tous Américains clamait le journal Le Monde au lendemain du 11 septembre on pourra conclure que les théories de Bourdieu se confirment pleinement, en ce qui concerne la non-existence d'une opinion publique, au niveau international. [...]
[...] L'opinion publique n'existe pas Pierre Bourdieu Introduction Nietzsche souhaitait détruire le rationalisme cartésien. Bourdieu s'applique, quant à lui, à casser méthodiquement les constructions sociales de la réalité, afin de mieux éclairer les rapports de forces qui se dissimulent derrière les illusions consacrées du sens commun. Si l'on osait les comparer, peut-être remarquerait-on une similitude frappante dans les démarches respectives du philosophe et du sociologue : cette même volonté de briser les cadres épistémologiques, les schèmes qui constituent le substrat souvent inconscient de toute réflexion. [...]
[...] Ici les rapports de forces sont en constante évolution, parce qu'il existe une tension constante et que le champ n'est pas encore pacifié, comme le montrent les évènements récents. B . par la faible compétence politique et la précarité de «éthos national» Bourdieu annonce deux principes de production des opinions : d'une part la compétence politique de l'individu sondé, c'est-à-dire sa capacité à concevoir le sens politique d'une question et à lui appliquer des catégories proprement politiques (selon un certain degré de raffinement et de réflexion : de même que la perception esthétique d'un étudiant aux Beaux-arts sera probablement plus développée, la compétence politique d'un élève de l'ENA sera probablement plus grande que celle d'un ouvrier) ; d'autre part la notion éthos de classe un système de valeurs implicites et intériorisées, liées à l'éducation et à la condition sociale de l'individu. [...]
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