Les éditeurs français ont décidé de faire sortir en 1973 la mise en scène de la vie quotidienne en deux tomes, alors que Goffman avait écrit ces deux ouvrages avec douze années d'écart. Car tout semble séparer ces livres, réunis pour l'édition française : les concepts développés, les traductions, les problématiques. Ainsi le tome I, The presentation of self in everyday life a été écrit en 1959 et traite d'une problématique centrale dans l'oeuvre de Goffman, à savoir celle tournant autour du soi. Il s'agissait de la première grande parution de Goffman et elle s'appuie donc sur ses recherches de doctorat et en grande partie sur les écrits de ses professeurs de Chicago, entre autres Warner et Hugues. Le tome II, intitulé Relations in public, est sorti aux Etats-Unis en 1971. Cette œuvre traite plus particulièrement de la question de l'ordre social découlant des interactions en public des acteurs.
On voit déjà qu'une question fondamentale de Goffman est celle du Moi : que sont les individus dans leurs interactions ? Et cette interrogation qui est au centre du Tome I de La mise en scène de la vie quotidienne est en réalité très liée avec la question de l'ordre social abordée plutôt dans le Tome II. Ceci car chez Goffman il semble que cet ordre social ne puisse se définir dans les individus que par rapport à leur Moi justement. D'où pour nous le problème de réussir à comprendre le rapport du Moi des acteurs sociaux avec l'ordre social, en comprenant avant tout cette notion goffmanienne du Moi.
Si l'interprétation est la médiation entre un locuteur et un destinataire ne partageant pas le même contexte, cette définition purement fonctionnelle peut poser problème. Quand on prend un dictionnaire pour traduire un texte, ce dictionnaire opère bien une médiation entre le texte et le lecteur. Peut-on en déduire pour autant que le dictionnaire « interprète » ? Ou bien la traduction est-elle seulement un support de l'interprétation ? Auquel cas, l'interprétation n'est pas tant le transfert d'un contexte à un autre d'un message donné que le fait de conférer un sens, de le rendre intelligible. Cette définition abstraite est alors à appliquer dans notre vie quotidienne : comment se rend-on intelligible à soi-même ? Ce qui revient à : comment s'interprète-t-on ? En jouant un rôle, pour le dire avec Goffman.
[...] Car si l'individu peut être embarrassé, c'est que la situation lui impose une prise de conscience de sa position vulnérable dans l'interaction. Il s'agit alors de penser l'apparition du Moi, instance par laquelle l'individu s'interprète. Ce Moi est ici appréhendé comme une fiction théorique heuristique pour analyser l'individuation. Ce Moi reste chez Goffman l'interprétation d'un rôle, mais il échappe à la rigidité du système fonctionnaliste, pour appréhender la diversité des situations de la vie quotidienne. Un autre écueil attend alors le sociologue. [...]
[...] Dès lors l'action sociale redevient problématique. La mise en évidence des limites de la théorie fonctionnaliste, pour rendre compte de l'action sociale en tant que rôle adhérent à un statut, est simple : il suffit de passer d'un point de vue général à un niveau moins général. Le fonctionnalisme permet de penser l'ordre social au niveau macro, mais a du mal à comprendre l'ordre de l'interaction quotidienne, banale. Et c'est précisément l'objet de l'œuvre de Goffman. Celui-ci a pour projet de penser le fonctionnement des interactions en face à face Or, à partir du moment où on descend à un tel niveau micro d'analyse, le structuro-fonctionnaliste semble perdre de sa pertinence : la trahison expressive est une caractéristique fondamentale des relations de face à face Dans le cadre théorique du fonctionnalisme, l'individu interprète son rôle comme s'il lisait le texte réglementé par le statut officiel : la marge d'innovation est mince. [...]
[...] 76) : la pensée sartrienne du jeu développée dans L'Etre et le Néant[5]. Goffman cite le célèbre passage du garçon de café, où le jeu se révèle être la condition de l'être. Par cette manifestation ludique, l'être fait le tour de ses possibles, et peut ainsi prendre des points de vue différents sur une même situation. Le jeu de rôles multiples apparaît en fin de compte comme le mode du Moi[6]. Le Moi apparaît donc comme une production ludique de signes, visibles par les autres participants à la situation, pour pouvoir établir une définition consensuelle de la situation, et ainsi se voir attribuer le masque désiré pour telle situation[7]. [...]
[...] Isaac Joseph, Erving Goffman et la microsociologie, PUF, coll. Philosophie, Paris p Par mode j'entends un ensemble de conventions par lequel une activité donnée, déjà pourvue d'un sens par l'application d'un cadre primaire, se transforme en une autre activité qui prend la première pour modèle mais que les participants considèrent comme sensiblement différente. On peut appeler modalisation ce processus de transcription in Les cadres de l'expérience, p E. Goffman, Les relations en public, p E. Goffman, Calmer le jobard in Le parler frais, pp. [...]
[...] Goffman décrit ainsi le moment où on découvre que quelqu'un n'est pas vraiment ce qu'il prétendait être : Que le personnage représenté soit sérieux ou frivole, de condition élevée ou modeste, on perçoit alors l'acteur qui assume ce personnage pour ce qu'il est profondément : un comédien solitaire tourmenté par le souci de sa représentation (La présentation de soi, p. 222). Cette tentation stratégiste se révèle dans La présentation de soi : Goffman se réfère à J. von Neumann, le fondateur de la théorie des jeux. E. Goffman, Les relations en public, p Concept défini dans The Unadjusted Girl, Little Brown and Co cité in L'Ecole de Chicago. [...]
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