Choisir un nom est gratuit. Il ne coûte pas plus cher, ni monétairement ni physiquement d'appeler son fils Godefroy que de l'appeler Kevin. Alors, s'il n'est pas possible de déterminer pourquoi untel appelle son enfant Godefroy plutôt que Kevin, on peut se demander pourquoi on retrouve des effets de mode qui non seulement sont repartis selon les années mais aussi selon les classes sociales. C'est cette régularité qu'observe l'étude de 1986 de Guy Desplanques. Nous verrons d'abord pourquoi les noms n'ont que très peu changé jusque dans les années 50 et puis pourquoi ensuite s'est installé un turn-over de plus en plus rapide.
Le modèle classique est le modèle correspondant à la transmission des prénoms dans une France plutôt rurale d'abord, et jusqu'à la moitié du 20ème siècle.
[...] Explication de la rotation rapide des noms Le pourquoi du turn-over Les individus nous allons le voir agissent selon à la fois de bonnes raisons axiologiques (valeurs intériorisées) et cognitives (déductions logiques), dans le choix du prénom de leur enfant. La mode a dans son essence beaucoup à voir avec des normes intériorisées, puisque même subjective et éphémère, elle devient une réalité à un certain moment donné : Martine et Michel pensent sincèrement que le prénom Céline est plus joli qu'Alberte. Ils ont donc intériorisé une norme même éphémère. Ils nomment leur fille Céline parce qu'ils le trouvent esthétique. Mais passé ce stade évident, d'autres raisons rentrent en compte. [...]
[...] Le phénomène de turn-over des prénoms : un phénomène nouveau Nous observons deux phénomènes distincts mais connectés. Un turn-over important A partir des années 30 environ, cependant, tout change. Avec des tableaux représentant un classement des 10 premiers noms donnés en France, pour les filles et les garçons, par périodes de 5 ans, on peut aisément s'apercevoir que brutalement, chez les filles d'abord, les premiers noms commencent à changer tous les 10 puis tous les 5 ans. Marie et Jeanne avaient régné sans partage de 1890 à 1925 puis brièvement remplacée par Jeannine dans les années 30 : ensuite les premiers noms changent à chaque période. [...]
[...] On voit pourquoi les noms changent donc : mais pourquoi se sont-ils mis à changer plus vite depuis les années 70 ? Ce sera notre argument final : tout simplement parce qu'il y a eu une tertiarisation des secteurs d'activités en France depuis les années 70, et les employés sont devenus majoritaires. Les noms se répandent donc aussi vite mais parmi un plus grand nombre de la population : un nom devient plus rapidement commun. Et donc les couches sociales supérieures sont obligées de changer d'autant plus vite de noms à donner à leurs enfants. [...]
[...] On observe seulement de faibles modifications car les bourgeois par exemple tendent à choisir des parrains nobles pour favoriser leur enfant (stratégie d'alliances . ) et donc certains prénoms (mais très peu) vont vers des classes moins aisées. Marie et Jeanne, les deux prénoms les plus donnés aux filles de 1895 à 1925 étaient en effet les prénoms que les marraines leur transmettaient. Le stock de prénoms reste donc réduit. Il convient d'évoquer aussi les bonnes raisons utilitaires/instrumentales liées au choix de tel ou tel prénom. [...]
[...] On peut donc dire que l'attribution du prénom a connu au 20e siècle un changement fondamental passant d'un modèle basé sur une forme de contrainte impliquée par un mode de transmission spécifique à un modèle basé sur le goût. L'importante rotation des prénoms est fortement liée au phénomène de mode, lancé par les classes aisées. Le choix d'un prénom n'est donc pas un choix totalement singulier, la mode impliquant une part d'uniformité. Bibliographie Guy Desplanques, Les enfants de Michel et Martine Dupont s'appellent Nicolas et Céline Economie et Statistique, janvier 1986. [...]
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