L'école a été pensée comme une institution fondant l'unité de la société et devant transmettre les valeurs de la République. Les enseignants sont par conséquent attachés à un passé mythique, et le malaise apparaît face à l'évolution de leur métier par rapport à un âge d'or. L'école s'est profondément transformée à partir des années 70, avec la création du collège unique et l'arrivée de nouveaux publics qui ont modifié la relation pédagogique entre élèves et enseignants. Je parlerais donc surtout des professeurs de collège ici car les publics sont plus homogènes qu'au lycée où il y a déjà une sélection. Le collège concentre les tensions du métier et les ambiguïtés de la démocratisation. Je verrai donc les deux grandes causes à l'origine de ce malaise : l'arrivée de nouveaux publics dans le secondaire et également un fossé croissant entre le statut de professeur et le métier...
[...] Les professeurs vivent cela comme une décadence du savoir et une abdication devant les masses. L'école a le sentiment d'être envahie par la sphère privée et la culture juvénile, d'autant plus que, contrairement au Royaume-Uni ou à l'Europe du Nord, l'instruction (c'est-à-dire, le jeune considéré seulement comme élève) a toujours été préférée à l'éducation qui elle, devait être prise en charge par l'Eglise et la famille dans le modèle scolaire français. Cette irruption de la société fait aussi entrer la violence dans l'école, souvent plus des violences sociales, - les mêmes que celles présentes dans la rue, puisque les élèves ne font pas la distinction entre l'école et la rue - que des violences scolaires qui visent directement les professeurs. [...]
[...] La grande majorité des enseignants adhèrent à ces objectifs de mérite et d'égalité des chances. Mais il y a un sentiment diffus de malaise à cause de la fracture entre les objectifs ambitieux du collège et des profs et la réalité quotidienne, qui heurte les convictions égalitaires des enseignants. Certains reprochent aux classes hétérogènes d'adopter un rythme moyen qui ne convient pas aux élèves en difficulté et qui ne permet pas aux meilleurs de progresser plus vite. Mais les classes de niveau, homogènes, constituent des classes faibles et difficiles où les élèves de sentent méprisés. [...]
[...] Leur propre rôle d'enseignant est profondément déstabilisé. Cette évolution est souvent vécue comme une chute, avec le sentiment d'être écrasé par une charge de plus en plus lourde, qui exige plus de temps et d'engagement personnel. C'est pourquoi ils réclament du personnel spécialisé pour les activités ne relevant pas du strict enseignement. Ainsi des profs rejettent l'idée qu'être un travailleur social fait partie du métier. Ceci est propre à la France car dans les autres pays européens, les professeurs trouvent normal de prendre en charge les autres dimensions du métier. [...]
[...] Les revendications de carrière et de salaire ne sont pas les principales causes du mécontentement, les revendications portent sur les politiques scolaires, les quartiers difficiles, le manque de moyens. Mais le malaise semble encore plus profond. L'école a été pensée comme une institution fondant l'unité de la société et devant transmettre les valeurs de la République. Les enseignants sont par conséquent attachés à un passé mythique, et le malaise apparaît face à l'évolution de leur métier par rapport à un âge d'or. [...]
[...] La massification et la crise sociale ont brouillé les frontières du collège et de la société, les élèves ont changé. C'est un choc qui a déstabilisé un modèle d'enseignement alors que la plupart des profs n'ont pas renoncé à ses principes et ses valeurs. Durant de nombreuses années, l'école a bénéficié d'un monopole de la culture légitime, de la grande culture, d'une transmission d'une culture nationale perçue comme universelle. Mais la jeunesse a aujourd'hui plus d'autonomie culturelle, à laquelle s'ajoute le développement des médias : l'école a perdu son monopole culturel. [...]
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