Il s'agira de plaider pour une certaine "gratuité", non seulement économique, mais éthique et phénoménologique dans l'expérience esthétique : en d'autres termes, le ludique , le "divertissement", a une fonction psychosociologique structurante dans la démarche du visiteur. Mais nous modérerons le propos pour ne pas faire de cette notion de «jeu » la panacée pour une bonne démocratisation de la culture. Diverses acceptions du jeu peuvent lui ôter tout caractère désintéressé et structurant psychiquement. L'imaginaire ludique est réduit à une série de recettes et de formules toutes faites, et ce depuis longtemps dans l'univers des parcs de loisirs, et depuis peu dans le monde de la muséologie.
Le musée est très peu conçu comme un espace de l'expérimentation, du tâtonnement, de l'essai et de l'erreur, il demeure le lieu de la précision, du sérieux, de l'érudition et du détail maîtrisé. Quand la notion de jeu apparaît, elle consiste souvent en une série de recettes toutes faites proposées par des enseignants. Cela dénote une conception particulière et restrictive de la notion de jeu.
De nombreuses situations nous incitent à penser que le divertissement contemporain s'éloigne de plus en plus du « jeu », au sens de jouer (playing), d'expérimenter, de vivre une expérience prenante et gratifiante en soi, autrement dit le processus lui-même, mais se présente plutôt comme une série de processus fermés et de formules imposées.
Jouer, on tentera de le montrer, consistera ici à créer un espace intermédiaire entre l'art et le corps, entre le vu et le su, entre visiter et être visité par un affect, une émotion. C'est donc cet espace de l'entre-deux, de l'expérience culturelle, qui est créé entre l'objet et le visiteur qui permet l'émergence du sujet regardant : cet espace mental par la latitude ludique qu'il autorise permet le passage du jeu au je, de l'expérimentation à l'affirmation d'un regard esthétique. Il est ainsi structurant psychologiquement et esthétiquement. Sans vouloir être exhaustif, on pourra indiquer à travers un exemple que les sociabilités ludiques générées par une visite ou une interprétation peuvent structurer positivement l'image d'un acteur individuel ou collectif.
[...] Une des discussions d'après visite a tourné autour de ces thèmes liés à l'ethnocentrisme, à l'apport de la culture arabe, à l'interculturalité, etc. L'exposition Derrière la maison du maître : le paysage culturel de la plantation consacrée à l'esclavage fut fermée juste après son inauguration, en 1995, à la bibliothèque du Congrès, à Washington, sous les protestations des employés noirs offensés par le sujet. Cité par Yves Michaud, La Crise de l'art contemporain, Paris, Puf p Le musée, en général, toujours comme idéal type au sens de Weber. [...]
[...] Le recours au corps et aux sens dans la découverte culturelle est une tentative de dépasser cette acception restrictive. A partir d'une manifestation qui s'est déroulée récemment à Montpellier on montrera que l'innovation muséologique peut utiliser les sociabilités comme outil de médiation ; cependant la contextualisation de l'exposition doit prendre en compte l'environnement sociohistorique et symbolique. Le musée[2] comme média participe à la définition de l'autre, de l'altérité. A l'heure où la reconnaissance culturelle attendue par des minorités qui s'estiment peu écoutées, le musée peut, d'une manière ludique et conviviale, aider à l'émergence de sujet et d'acteurs culturels dans un territoire. [...]
[...] C'est un regard en forme d'hommage qui unit, qui réunit les gens des deux rives en rappelant un passé commun. En cela, ce n'est pas un exotisme qui sépare, - ou qui réifie la moindre différence dans une sorte de narcissisme de la petite différence civilisationnelle mais plutôt un tableau qui rassemble, qui agrandit les perspectives historiques, humaines et existentielles. En cela, il facilite la médiation et le passage du dehors vers le dedans de l'exotique vers l'intime, de la contemplation vers une forme d'introspection. [...]
[...] Conséquence : l'entrée des musées dans la culture de loisir les a aussi mis en concurrence entre eux, comme elle les mettait en concurrence avec les autres secteurs de l'industrie des loisirs tels les parcs de loisir, les médiathèques, les espaces de jeux électroniques, les cybercafés, etc. Démocratie culturelle versus démocratisation ? Les institutions culturelles se doivent d'aller au plus près de leurs publics et reconnaître les nouvelles formes artistiques. S'intéresser à une population déterminée socialement et à ses pratiques culturelles, c'est aussi prendre en compte les formes d'expression artistique qui la touchent. [...]
[...] C'est notamment la thèse de Thomas Crow qui montre que le passage à la modernité commence lorsque l'art entre dans la sphère publique. Pour revenir à notre cas montpelliérain, c'est une des dimensions de cette modeste initiative qui postule indirectement que c'est par la communication, si ce n'est la communion, autour d'un objet ou d'une œuvre, que c'est en mettant en commun les expériences, les ressentis, les affects éprouvées face à une peinture, un livre, une musique, que s'élabore une communauté de valeurs, ou de goût. [...]
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