Dans le monde du tourisme, l'aéroport est un "haut lieu" où les séquences des rites de passage, telles qu'en parle Arnold Van Gennep, sont le plus accentuées dans les comportements des vacanciers; le vol aérien offre ainsi un premier aperçu des rituels touristiques dont on va esquisser quelques linéaments. Notons en premier que les trois séquences du rite de passage (séparation, isolement et agrégation) correspondent, dans leur forme, aux trois temps du voyage (départ, vol - y compris le transit - et arrivée). Cependant, les rites touristiques n'offrent pas toujours un découpage aussi précis dans leur déroulement que les rites de passage stricto sensu, aussi parlera-t-on ici d'une parenté formelle entre ces deux types de rites plutôt que d'une identité du contenu symbolique. A cette nuance près, le monde du voyage à but touristique demeure un univers de la transition, dans tous les sens du terme.
A partir de quelques comportements extrêmes de peur du vol aérien, dont certains relèvent d'une sociopathologie du voyage aérien, on essaiera de dégager les principales composantes de ce qui peut constituer un imaginaire du voyage aérien (nous n'aborderons pas les cas liés à une expérience réelle d'une catastrophe aérienne); on montrera ensuite que cet imaginaire participe de celui qui colore les sociabilités de vacances. Il ne s'agit évidemment pas de "psychologiser" les attitudes observables dans les avions, mais de partir de comportements spectaculaires et paroxystiques pour mieux souligner les composantes émotionnelle, sociétale et symbolique qui constituent ce type de déplacement humain.
On a longtemps pensé que le rite, en général, sert à apprivoiser les situations exceptionnelles ou déstabilisantes que vit l'individu. Cette proposition est plausible. Néanmoins, le rituel aéronautique n'est pas réductible à une simple tentative d'adaptation psychologique de l'individu à un environnement inhabituel - auquel cas, il ne serait qu'une réponse parmi d'autres au stress généré par le voyage aérien. Notre hypothèse est que ce rituel - que l'on décrira ici dans les grandes lignes - révèle l'existence d'un substrat symbolique (une structure anthropologique ?) qui dépasse largement les frontières d'une culture ou d'une microsociété données et qui prend racine dans le rêve (le mythe d'Icare) mille fois contrarié, mais qui obséda longtemps l'être humain : pouvoir voler dans les airs. Que ce soit dans le voyage aérien ou dans le village de vacances, nous retrouvons des éléments symboliques qui font du tourisme un monde imaginaire de la transition et du passage: autrement dit, tout déplacement touristique se fait dans un espace d'abord imaginaire avant d'être géographique.
[...] Les attitudes communielles font entr'apercevoir un imaginaire festif, ludique et anti-structurel. Ce qualificatif d'anti-structurel, utilisé pour décrire la "communitas", nous sert à rappeler son ancrage symbolique dans un sacré "sauvage" (R. Bastide) ou, si l'on préfère, dans une sphère anti- institutionnelle, hors du social, bref hors de la "societas" organisée et structurée hiérarchiquement en rôles et en statuts socio-professionnels. Le religieux populaire, tel que le définit A. Dupront nous donne une idée de cette logique. Victor Turner a souligné l'aspect "anti-structure" des groupes de pèlerins qui s'opposent à la "societas" (à l'Eglise). [...]
[...] A partir de généralités sur l'heure du vol, les vaccins, etc., on arrive à une auto-révélation réciproque prudente, où les statuts sociaux, les professions, sont esquivés. La pratique commune d'un sport ou d'un loisir constitue une bonne entrée en matière. Au départ, les distances sociales sont momentanément suspendues. La sociabilité peut évoluer progressivement et peut donner lieu à la constitution de groupes affinitaires, de communautés provisoires. Un second modèle relationnel se met ainsi en place, on le qualifiera de sociabilité communielle. [...]
[...] S'il veut "réussir" ses vacances, l'individu devra s'adapter aux jeux sociaux, à la temporalité et aux rythmes mondains de son lieu de villégiature. Ainsi, une logique communielle co-existe avec une logique différentielle dans les comportements touristiques. Cette bipolarité est à retenir pour la suite de cette analyse. Le mode phatique est adopté quand aucune de ces deux logiques ne s'impose dans un groupe, lorsqu'on ne sait pas encore , si je puis dire. Faut-il tutoyer, ou faut-il vouvoyer ? L'hésitation génère le recours à des postures ritualisées. [...]
[...] De par leurs demandes incessantes d'informations, leur fébrilité, leurs comportements désordonnés, leur distraction et leur nervosité, si ce n'est leur agressivité envers le personnel au sol, ils sont facilement repérables dans un aéroport. Notons qu'il existe une sous-catégorie chez les anxieux: ce sont ceux qui se montrent dociles et bien disciplinés, qui s'évertuent à gagner l'approbation des hôtesses et à obéir au personnel de l'aéroport en adoptant une attitude effacée et soumise, quêtant un réconfort à tout prix. Quand ils participent à un voyage organisé, ils ne quittent pas d'une semelle le guide. [...]
[...] Nous précisons que cette forme relationnelle relève avant tout du domaine affectif et émotionnel. Le village de vacances est le lieu idéal où s'observe cette sociabilité (18). L'idéal de simplicité vestimentaire, comportementale, relationnelle, sexuelle, etc., et le simulacre de vie "primitive" nous renseignent sur l'opération symbolique de fusion au sein du groupe. Evidemment, ce n'est qu'un jeu, on fait "comme si". D'ailleurs, pendant l'initiation, fait-on autrement ? La dimension de jeu est d'ailleurs présente dans toute cérémonie d'initiation, et dans toute socialisation. [...]
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