« Franchement il faut habiter Trappes pour se rendre compte réellement de ce que c'est la vie ici à Trappes. Il ne faut pas regarder par rapport à l'image. Il faut y vivre. Ce n'est vraiment pas un ghetto ! »
(A., 15 ans, Trappes)
Retour sur l'histoire étymologique du concept
Le terme ghetto est très ancien. Pour preuve, l'étude d'un classique de sociologie des relations ethniques et raciales, « Le ghetto », écrit par un illustre chercheur de l'Ecole de Chicago, Louis Wirth, en 1928, permet de retracer son histoire, vieille de mille ans… Il semble néanmoins que le ghetto ait été, à l'origine, un endroit de Venise, un des quartiers de cette ville où était établie la première communauté juive. En un mot il devint leur lieu de résidence obligatoire. Conscient de l'origine confuse du terme, l'auteur n'impose ni n'affirme de vérités infondées et concède ad rem que l'existence des ghettos est bien antérieure au terme qui sert à les désigner (1928, 23).
Wirth, dans son étude historique, concède que le ghetto ne fut pas comme il est dit souvent à tort, « une création arbitraire des autorités, conçue pour régler le problème que posait la présence d'un peuple étranger. Il ne fut pas le résultat d'un projet, mais plutôt la cristallisation inconsciente des besoins et de pratiques enracinées dans les coutumes et les traditions religieuses ou séculières des juifs eux-mêmes » (Op.cit., 40). Pour preuve, les « ghettos volontaires », phénomène très courant au XIIIème siècle, qui réduit tout contact avec l'extérieur de manière impromptue. Ce processus ne fit que marquer le début d'un long isolement qui n'atteignit son plein développement qu'avec la substitution du ghetto obligatoire au ghetto volontaire. Dès 1500, les ghettos, institués par l'église pour parquer les juifs, étaient « entourés de murs et comportaient une ou plusieurs portes qu'on fermait la nuit » (Op.cit., 52). Le fait que certaines autorités refusaient de les agrandir à mesure que la population augmentait entraînait généralement un état de surpeuplement. A l'époque, beaucoup craignaient que la présence des juifs affaiblisse la foi des chrétiens.
Néanmoins tous s'accordent à lui donner acte de naissance à Venise en 1516 (Wirth, 1928 ; Vieillard-Baron, 1996, Stébé, 1999, Estèbe, 2004) mais le flou existe encore quelque peu lorsque son origine sémantique est recherchée et étudiée. Wirth (1928,23-24) concède que les juifs italiens orthographiaient ce mot « gueto », du mot hébreu « get », signifiant « l'acte de divorce » car il considère que cette idée de divorce et d'exclusion comporte une assez grande analogie. Mais l'auteur avance d'autres explications et d'autres origines, comme le lien au terme allemand « gitter », relatif aux barreaux d'une cage, mais cela lui semble plutôt mal fondée et abusif. La proximité de la notion italienne « borghetto », désignant un petit quartier ne lui est guère non plus évidente. Il concède a fortiori que l'utilisation ancienne du terme italien « gietto », est plus plausible, car il désigne la fonderie de canons de Venise près de laquelle était installée la première communauté juive. Vieillard-Baron (1996, 46) y octroie également un parallèle, avec le mot vénitien « gettare » qui signifie fondre.
Ce concept apparaît alors dans un contexte d'insécurité, sous la menace d'invasion turque, pour désigner les quartiers où les juifs étaient parqués et cloîtrés la nuit. Le ghetto devient vite le symbole de l'effroi et de la terreur. Pourtant, selon Vieillard-Baron (1996, 51), l'approche historique prouve que le ghetto vénitien, souvent considéré comme la métaphore parfaite du quartier ségrégué, est parfaitement original et plus ouvert qu'il ne l'ait pensé habituellement. C'est donc selon lui une représentation partiellement tronquée du « gietto » qui franchira les siècles et les océans et qui suscitera dès la fin du XIXème siècle l'intérêt des chercheurs américains. De la sorte, ce vocable sera emprunté par les Etats-Unis pour cataloguer les quartiers juifs, puis associé et combiné aux quartiers italiens et noirs. Cette réalité est revenue plus tard à l'ordre du jour sous le règne hitlérien (Vieillard-Baron, 1990, 16). Néanmoins, il est clair que le concept « ghetto » est une idée « fourre-tout » (Vieillard-Baron, 1996, 25) dont l'usage connaît une expansion fulgurante, notamment dans les années 1980, aussi bien dans le discours médiatique que dans les rapports administratifs, ou bien encore dans les travaux scientifiques. Le ghetto peut alors ce définir comme le territoire du rejet, expression spatiale des ségrégations et des discriminations les plus radicales mais on ne peut le réduire à une minorité regroupée dans l'espace délimité d'un quartier ou d'un îlot, ou bien encore à un simple isolat social (Vieillard-Baron, 1990, 15).
[...] Le choix est donc fait. Laisser libre cours aux réflexions des interviewés Au départ, je ne connaissais pas la ville, juste par la réputation Trappes, ville sensible, les images de la télé, manifestations, voitures qui brûlent Et puis quand je suis arrivé, une ville toute calme. Avec des jeunes polis, faciles à canaliser. Une toute autre image. Beaucoup de choses ont été faites sur la réhabilitation et envers les jeunes pour atténuer ce conflit je crois ans, Trappes) Quand j'ai dit dans l'Aube, que j'étais mutée dans la Seine-Saint-Denis, les gens ont dit : Mais quelle bêtise elle a faite pour être mutée la bas ! [...]
[...] Que pensez-vous si on dit que votre ville est un ghetto ? L'exemple est ici intéressant, car les deux premières répliques proviennent de jeunes habitant la ville, soucieux de défendre l'image de la ville, et aussitôt contrées par deux autres jeunes ayant une vision extérieur de ce contexte. M : Ce n'est pas vrai. C'est du mytho. Certains cherchent la grine (la bagarre). D : La police cherche les problèmes aussi. Moi je ne me sens pas en danger ici. [...]
[...] Néanmoins, cette mobilisation de références théoriques nord- américaines n'est pas née d'aujourd'hui. Il y a presque vingt ans déjà, Touraine affirmait aussi de son côté que la France tendait malencontreusement vers un modèle américain avec la tentation du ghetto dans ses grandes villes. Nous allons vers une ségrégation dans sa forme la plus dure, le ghetto Vu la logique générale d'accroissement de la ségrégation, nous pouvons nous attendre à ce que nos grandes villes prennent le chemin de Chicago (Touraine, 09/10/1990 in Le Figaro). [...]
[...] Je l'ai écrit à un journaliste du Monde Entre tout ce qu'on dit sur nous et ce soi-disant ghetto Je ne connais pas de journaliste qui habite Trappes Le journaliste débarque de je ne sais où, interview un mec dans la rue, et avance le terme ghetto Moi qui habite ici maintenant, je trouve qu'on devrait leur donner le prix Nobel de la paix à tous ces gens là Vivre en paix dans des cas. [ ] C'est une ville de solidarité, qui vit ensemble avec en toile de fond la paupérisation, la pauvreté, pas la misère. Oui il y a des meurtres et ça existe ça Et alors partout dans le monde ça existe. Et on met des caméras ici Au c'est très très très peu violent. [...]
[...] Ainsi, l'identification à la cité stigmatisée opère le renversement de l'handicap en une ressource. Soit le sentiment de déréliction devient celui de la force du groupe et le lieu de l'exclusion devient alors un espace de protection (Le Poutre, 1997). Derechef, le concept de prophétie autocréatrice de Merton prend ici tout son sens, dans l'idée de se protéger et de s'opposer à ses détracteurs (médias, EXTRAIT d'un travail de thèse Si besoin, envoi d'un complément bibliographique Bibliographie - Avenel C., Sociologie des quartiers sensibles Armand Colin, Paris - Belhaj Kacem M., La psychose française Les banlieues : le ban de la République Gallimard, Paris - Dubet F., Lapeyronnie D., Les quartiers d'exil Seuil, Paris - Duret P., Le sport comme contre-feu à la violence des cités : des mythes aux réalités pp 107-118, in Bodin D. [...]
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