Depuis le tournant du XIXème siècle, « l'homme s'est constitué dans la culture occidentale à la fois comme ce qu'il faut penser et ce qu'il y a à savoir » (Foucault in Les Mots et les Choses, Gallimard, 1966, p. 355-356), c'est-à-dire qu'il est devenu « objet de science ». L'avènement des « sciences humaines » révèle l'homme comme empiriquement déterminé et conditionné, à la fois par son caractère d'être vivant (biologie), d'être producteur de son milieu culturel par le travail (anthropologie et économie), enfin d'être producteur et instaurateur de symboles et de langages qui lui servent à déterminer lui-même son statut et celui de son rapport au monde. Mais si l'homme est ainsi empiriquement déterminé, il est justement aussi celui qui se trouve « au fondement de toutes les positivités » ; car il est le vivant qui se représente la vie et constitue la connaissance du vivant comme science positive ; il est l'agent socio-économique qui se représente l'économie et la société en constituant le projet d'une anthropologie scientifique ; il est enfin l'être qui parle au sein du langage mais qui se donne finalement la représentation du langage en instaurant une linguistique et une herméneutique scientifiques. C'est donc l'être capable de cet essentiel redoublement, qui est l'objet des sciences humaines tout en restant le sujet. N'y-a-t-il pas là quelque inéluctable tour susceptible de faire l'objet d'une réflexion philosophique sur le sens de l'ère « des sciences humaines ? ».
[...] L'anthropologie traditionnelle a persisté à construire son objet systématiquement et donc en le dénaturant. Classiquement, l'anthropologie se résume à une tentative de cerner l'homme en tant qu'il est actif, entreprenant, volontaire, persistant inlassablement dans son être. Elle est passée à côté de son objet, et c'est ce manquement que la branche alternative de l'anthropologique, qui nous intéresse ici en premier chef, palie. L'homme y est décortiqué à travers sa vulnérabilité, sa turpitude née de l'idée qu'il se sait fini, son inconséquence constitutive. [...]
[...] Nous sommes condamnés à porter le fardeau de notre existence. Pourquoi s'embarrasser de la conscience ? Nous ne pouvons nous résoudre à marcher à quatre pattes alors que nous sommes superbement bipèdes. Le mode mineur, concept fondamental d'Albert Piette, se manifeste par l'ennui profond et s'aspecte par notre insouciance préoccupée (à rapprocher du « Gelassenheit » de Heidegger) est aux antipodes du divertissement, au sens pascalien, qui est éminemment inauthentique ; C'est un intrinsèque de notre condition humaine, un « à côté » primordial à côté duquel est passé l'anthropologie classique. [...]
[...] L'anthropologie contemporaine est tributaire de sources variées. Même si s'accorder sur la définition d'une généalogie est un enjeu propre à la discipline, on peut essayer de la donner à gros traits : a régné une grande tradition d'anthropologie physique. Munie des outils des sciences naturelles, l'anthropologie du XVIIIème siècle converge vers une étude qui se veut objective de l'homme, est s'avère l'analogue des sciences naturelles en prenant toutefois l'homme comme objet, comme en atteste Buffon dans son Traité des Variations de l'espèce humaine de 1749, l'Anthropologie comme l'équivalent de « l'histoire naturelle de l'homme ». [...]
[...] ] On n'a plus affaire à un sujet qui se rapporterait après-coup à un monde mais à un être qui est toujours déjà en rapport avec le monde et dont l'être consiste précisément dans ce rapport [ . ] parce que cette relation est originaire et non thématique, elle délivre le monde lui-même et non pas un simple objet. » (Merleau-Ponty, Ellipse, « Philo-philosophes » pp. 55-56). La poésie est peut-être ce qui est le plus susceptible de restituer cet insaisissable de la condition humaine, quête inlassable de toute forme d'anthropologie. [...]
[...] L'anthropologie existentiale, quant à elle, verse à la fois dans le scientifique et le philosophique. Peut-il en être autrement si elle assume vraiment le qualificatif « existentiale », se référant à la dimension proprement ontologique du Dasein ? L'Inspiration heideggérienne de Piette n'est pas dissimulée. Dès lors, serait-ce impertinent de suggérer que l'anthropologie existentiale est paradoxale, sinon contradictoire de par le caractère hybride d'une discipline spéculative et d'une autre empirique, de champs et de moyens de recherche scientifiques souvent séparés? [...]
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