J'ai choisi de suivre le cours de sociologie et anthropologie des milieux ouvriers car, étant fille d'ouvrier, ce sujet m'intéresse particulièrement. Mon père est, en effet, ouvrier depuis l'âge de quinze ans et mes grands-parents paternels étaient, tous deux, mineurs de fond. J'ai, de ce fait, toujours étais imprégnée de la culture ouvrière.
J'ai décidé d'étudier le système des horaires postés parce que mon père suit ce rythme de travail et que je me rends compte, quotidiennement, de toutes les difficultés qui en résultent.
Je me demande donc dans quelles mesures le système des horaires postés renforce la pénibilité du travail ouvrier.
Le fait que mon père travaille sous ce rythme de travail m'a facilité la prise de contact avec un enquêté. Je me suis rendue, avec lui, à son lieu de travail et j'ai attendu devant la salle de contrôle, d'un secteur d'activité différent de celui de mon père, pour solliciter les ouvriers. Le troisième ouvrier a accepté l'entretien. Les deux premiers avaient refusé car ils n'avaient pas le temps. Ils me répondaient que c'était surement très intéressant mais qu'ils n'avaient pas le courage, qu'ils étaient fatigués quand ils ne travaillaient pas. Le troisième, lui, s'est montré, tout de suite, très enthousiaste à l'idée de participer à une enquête.
Ma requête auprès de cet ouvrier était de l'interroger sur son travail. Je n'en n'ai pas dit plus sur la problématique de mon étude. L'enquêté n'était pas au courant que j'étais la fille d'un de ses collègues. Il ne travaillait pas dans la même branche que mon père et ils se croisaient donc rarement.
J'ai choisi de prénommer cet ouvrier René pour plus d'anonymat. Il a cinquante trois-ans et est issue d'une famille ouvrière, plus spécifiquement, de mineurs de fond. C'était un choix d'interroger un ouvrier qui avait de l'expérience et qui était vers la fin de sa carrière. Je voulais, en effet, voir les incidences, sur long terme, du système des horaires postés. Mon choix s'est vu confirmé par le fait qu'il était marié et qu'il avait des enfants, ce qui me permettait de percevoir les conséquences de son rythme de travail sur sa vie personnelle et familiale.
L'entretien s'est déroulé dans une salle libre et tranquille sur son lieu de travail. René a choisi cet endroit car l'entrevue a eu lieu juste avant une de ses journées de travail. Il était, en effet, de l'après-midi ce jour là et commençait à 14H. L'entretien a donc commencé à 12H30. Nous étions seul dans cette salle ce qui a facilité le travail d'enquête et l'enregistrement de la discussion. Notre conversation a duré une heure et quart. René s'est montré très enthousiaste à l'idée d'évoquer son travail et a été très loquace et très aimable.
René a commencé très tôt à travailler, à l'âge de seize ans pour aider sa famille en donnant un salaire supplémentaire. Il est arrivé à l'usine « Polimeri Europa France » de Mardyck en 1977, a l'âge de vingt-deux ans. Il a, tout de suite, travailler sous le système des horaires postés, cela faisait partie des conditions d'embauche.
Il a obtenu une promotion lors de son parcours professionnel. Il a, en effet, commencé comme conducteur d'appareils chimiques et est, actuellement, tableautiste. Ce travail est moins physique et plus adapté à son âge. Nous reviendrons sur ces aspects lors de l'entretien.
[...] René : Quand il y a les entreprises extérieures, la charge de travail peut être très importante. Tu sais, personne n'aime travailler avec un chef dans son dos Il y a une sorte de pression qui n'est pas agréable à supporter Ils nous disent rien de particulier, mais le fait qu'ils soient présents, à nous regarder, peut être dérangeant Tu sais, quand ils ne sont pas là, ce n'est pas la même ambiance On peut plaisanter entre nous C'est plus détendu René : Sinon Il y a aussi les demi-journées, quand on travaille du matin, on finit à 14 heures et quand on n'est pas trop fatigué, on peut en profiter Bon, je te le dis, c'est rarement le cas (Mine contrariée) Un autre avantage aussi, c'est que comme l'usine ne s'arrête jamais, nous pouvons choisir nos périodes de congés, que se soit en juillet, en août ou encore au Nouvel An ou à noël Il y a aussi l'avantage du comité d'entreprise. [...]
[...] Michel Crozier, Le phénomène bureaucratique, Paris, Le Seuil Michel Cézard, Sylvie Hamon-Cholet, Travail et charge mentale, Premières synthèses 99-07 Donald Roy, Un sociologue à l'usine. Textes essentiels pour la sociologie du travail, La découverte, Paris Jennifer Bué, Des exceptions moins exceptionnelles, Santé et travail janvier 2008. Yvon Queinnec, Serge Volkoff, Horaires décalés : salariés à contretemps, Santé et Travail Janvier 2008. Charles Gadbois, Les discordances psychosociales des horaires postés : questions en suspens, Le travail humain 2004/1, Volume 67, p 63-85. [...]
[...] C'est que le temps de présence au travail n'est pas tout. S'y ajoutent, pour certains, les tâches rapportées à la maison pour tenir les délais. Et il faut prendre en compte le temps des déplacements domicile-travail, qui est souvent long et tend à augmenter. On peut tenter d'évaluer le temps disponible pour les relations père/enfant quand le père est un travailleur posté pour voir les répercussions des horaires postés sur la vie familiale de l'ouvrier. Le croisement de l'horaire de travail d'un homme en horaire posté avec l'horaire scolaire de son fils permet de calculer le nombre d'heures du potentiel de temps libre que peuvent partager le père et son enfant. [...]
[...] L'entreprise appartenait à CDF Chimie, qui était le troisième groupe chimique français en 1977. Elle est maintenant 100% italienne et s'appelle Polimeri Europa France Nous sommes quatre cent soixante employés. Nous produisons du polyéthylène et du polypropylène. Des noms assez compliqués ! (René se met à rire) Patricia : Oui, un peu Et votre travail consiste en quoi ? René : Mon travail consiste à conduire une unité de distillation en réglant certains paramètres comme la température, la pression, le débit Je suis en liaison radio avec des opérateurs extérieurs que je dirige. [...]
[...] Annexes page 28 : Évolution des horaires atypiques, en % de salariés concernés). René travaille sous le système de 3x8, c'est-à-dire qu'il enchaîne les postes du matin, de l'après-midi et de la nuit (page : J'ai toujours travaillé selon le système des postes. Je travaille en 3x8, à cinq équipes avec un cycle de 34h30 par semaine. Les horaires sont de 6 à 14 heures pour le poste du matin, de 14 à 22 heures pour le poste du soir et de 22 à 6 heures pour la nuit. [...]
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