Il y a cinquante ans, le 13 mai 1962, le général de Gaule est rappelé au pouvoir à la suite des troubles insurrectionnels en Algérie. Pour les Européens, ceux que leurs compatriotes de métropole surnomment péjorativement les « pieds-noirs », il représente le dernier espoir de conserver cet éden. Quatre ans plus tard, c'est l'exil et l'abandon du paradis perdu.
L'identité pied-noir est loin de préexister à leur arrivée en France. Bien au contraire, elle se construit de façon postérieure. On peut considérer l'épisode du rapatriement comme l'élément déclencheur de cette identité où s'agrège également des qualités particulièrement que s'octroie la communauté pied-noir notamment culturelles (cuisine, culture, accent etc.).
L'image du Français d'Algérie comme un colon reste profondément ancrée. Ainsi, dans un dossier spécial du magazine Le Point consacré aux Français d'Algérie , le journaliste parle de « ces tout premiers colons [qui] sont des pionniers, des hommes et des femmes d'un autre temps, durs à la tâche, sans cesse confrontés à la violence des hommes et des éléments mais qui sont résolus à écrire une page encore vierge ».
Ainsi, dans l'imaginaire collectif, les tout premiers Français d'Algérie demeurent des colons, l'Algérie c'est le Far West français. Il y a certes une part de vérité dans cette représentation très imagée. Du reste, les pieds-noirs cherchent à mettre en avant cette histoire spécifique dont leurs ancêtres ont été les acteurs et qui devraient selon eux être réhabilités, du moins reconnus par l'histoire officielle.
Pour les gouvernements qui ont mené les décolonisations, et notamment dans le cas de l'Algérie, ces Français sont l'exemple vivant de l'échec de toute politique de conciliation avec les nouveaux leaders du Maghreb. Les accords d'Evian, âprement négociés par la France, doivent résoudre le conflit algérien et instaurer une cohabitation juridique entre ce qu'on pense être les deux communautés de ce pays.
Ils sont la clé de voûte d'une future politique d'échange et de coopération entre deux pays indépendants, les Français d'Algérie en étant le trait d'union. Le départ massif des Français d'Algérie durant l'été 1962 montre que cette politique est un échec. L'enjeu de la mémoire pied-noir tient dans l'identité même du groupe.
[...] Albert Memmi a pointé avec justesse le dilemme qui entoure la communauté pied-noir : Avec la disparition du colonisé disparaîtrait la colonisation, colonisateurs compris Ainsi, les pieds-noirs résistent à ce principe simple et juste et veulent perpétuer leur œuvre et leur présence sur ce territoire. Avec le rapatriement, les Français d'Algérie deviennent définitivement des pieds-noirs aux yeux des métropolitains. Une fois le territoire disparu, le groupe, loin de se désagréger, va au contraire opérer une totale conversion autour de la question du rapatriement. [...]
[...] Les témoignages que l'on peut trouver dans l'Algérianiste sont assez contradictoires. Il reste à expliquer la prodigieuse fortune de ce sobriquet bizarre, ressenti comme dérisoire et plus ou moins péjoratif par les Français de la métropole, mais assumé fièrement par ceux d'Afrique du Nord (et particulièrement d'Algérie). L'explication doit partir du fait que les futurs Pieds-noirs s'étaient d'abord appelés Algériens en définissant ce nom comme celui d'un peuple nouveau, né de la fusion des races européennes en Algérie à la fin du XIXe siècle (exalté notamment par les romans de Louis Bertrand), pour se distinguer des Français de France (appelés Francaouis ou Patos Puis entre les deux guerres s'était formé, à l'initiative de Robert Randau et de Jean Pomier, un mouvement littéraire appelé l'algérianisme, destiné à créer une littérature algérienne exprimant une conscience algérienne commune à tous les écrivains algériens, quelles que soient leurs origines. [...]
[...] La mémoire est plurielle en ce sens qu'elle émane des groupes sociaux, partis, Eglises, communautés régionales, linguistiques ou autres. De ce point de vue, la mémoire dite collective est à première vue une chimère, car somme imparfaite de mémoires éclatées et hétérogènes. L'histoire en revanche a une vocation plus universelle sinon plus œcuménique. [ ] La mémoire, parfois, est du registre du passé, de la foi ; l'histoire est critique et laïque Il ajoute également que la mémoire est susceptible d'être refoulée. Il se trouve que les pieds-noirs contestent l'histoire forgée par les historiens. [...]
[...] Cette notion demeure inadéquate à penser l'arrivée des pieds-noirs sur un territoire que la plupart ne connaissent pas mieux ou au mieux a connu pendant des vacances. La notion de rapatrié illustre l'effort d'un Etat nation ne pouvant reconnaître, en métropole comme aux colonies, que des nationaux ou des étrangers, pour attribuer des droits aux individus quittant, pour des raisons politiques, un territoire anciennement placé sous sa souveraineté. La notion de rapatrié suggère le retour au pays. Or, pour les pieds-noirs, la patrie, la terre de leur père c'est l'Algérie. [...]
[...] Celle de la France ou celle de l'Algérie L'argument généralement évoqué relève d'un certain bon sens : puisque les pieds-noirs ont souvent évoqué à quel point il est paradoxal de naître en France dans l'Algérie coloniale d'être juridiquement Français, tout en étant rapatrié en France. Dans cette perspective, on peut comprendre les luttes entreprises par des pieds-noirs contre certaines classifications administratives. Ils ont quitté l'Algérie pour ne pas avoir à vivre sous un statut d'étranger, ces derniers se mobilisent alors contre l'attribution pour les rapatriés du numéro 99 (numéro réservé aux personnes nées à l'étranger) comme identifiant du lieu de naissance par la sécurité sociale. [...]
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