Le débat sur les fondements d'une justice sociale qui oppose, de manière schématique, les tenants de l'égalité et défenseurs de la liberté nous renvoie à deux traditions de philosophie politique quant aux rapports entre la société et l'Etat, voire à deux visions anthropologiques. D'un côté, l'on a une vision atomiste/ individualiste dans laquelle l'individu, avec toutes ses particularités humaines, ses droits et ses capacités morales, est posé comme premier par rapport à l'association politique, et où il est conçu comme le constituant ultime de l'ensemble social ; de l'autre, une vision holiste pour laquelle la société politique diffère d'une somme d'individus et il est absurde d'affirmer que l'humanité, en tant qu'ensemble de capacités spécifiques, existe indépendamment de la société elle-même. Est-il possible de concilier la reconnaissance des droits individuels avec l'idée d'un bien commun qui soit accessible à tous ?
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[...] Ainsi, Marx apparaît comme l'héritier des socialistes français lorsqu'il défend dans La Question juive (1844)[9] la thèse selon laquelle la véritable liberté des hommes ne se joue pas sur le terrain politique. Le jeune philosophe y oppose l'émancipation humaine à l'émancipation purement politique prônée par le libéralisme : [ ] le droit de l'homme à la liberté n'est pas fondé sur la relation de l'homme à l'homme, mais au contraire sur la séparation de l'homme avec l'homme. Il est le droit à cette séparation, le droit de l'individu limité, limité à lui-même. L'application pratique du droit à la liberté est le droit de l'homme à la propriété privée. [...]
[...] Le libéralisme, et plus encore les libertariens, fondent leur anthropologie sur la conception lockienne de l'Etat de nature. En effet, dans Traité sur le gouvernement civil (1690), LOCKE décrit l'Etat de nature comme un état de parfaite liberté où les hommes peuvent faire ce qu'il leur plaît, et disposer de ce qu'ils possèdent et de leurs personnes, comme ils jugent à propos, pourvu qu'ils se tiennent dans les bornes de la loi de la Nature Cet état de nature apparaît d'autant plus séduisant que la liberté s'accompagne d'une égalité des hommes[4]. [...]
[...] Il s'agit de penser une politique de l'égalité complexe[19] (WALZER, 1983) qui échapperait aux effets pervers de l'égalitarisme et réanimerait le désert civique de la république procédurale (Sandel). Il n'y a pas une justice mais des sphères de justice. Walzer renverse la perspective en faisant du pluralisme, redéfini dans les termes de l'égalité complexe, un objectif dont la poursuite structure le champ de la vie politique libérale. D'où nécessité de compléter les droits sociaux de l'Etat-providence par d'autres institutions, plus locales fondées en partie sur le bénévolat, une reformulation des droits sociaux, ouverts à la condition des personnes, et non plus identifiés à la délivrance administrative de prestations Conclusion : Le débat sur égalité et liberté fait apparaître le lien très étroit entre ontologie et la politique. [...]
[...] et RIALS S., Dictionnaire de philosophie politique, PUF, Paris Communauté et communautarisme Egalité Liberté Socialisme Tocqueville ; ROSANVALLON Pierre, La crise de l'Etat-Providence, Seuil, Paris ; SPITZ Jean-Fabien, La Liberté politique, Essai de généalogie conceptuelle, PUF ; WALZER Michael, Pluralisme et démocratie, Esprit WHUL S., L'égalité, Nouveaux débats, Rawls, Walzer, PUF, Paris ANTOINE A., L'Impensé de la démocratie, Fayard De l'individualisme dans les pays démocratiques t.II, IIème partie, chapitre II) : J'ai fait voir comment, dans les siècles d'égalité, chaque homme cherchait en lui-même ses croyances ; je veux montrer comment, dans les mêmes siècles, il tourne tous ses sentiments vers lui seul. L'individualisme est une expression récente qu'une idée nouvelle a fait naître. Nos pères ne connaissaient que l'égoïsme. [ ] L'individualisme est d'origine démocratique, et il menace de se développer à mesure que les conditions s'égalisent. [...]
[...] L'égalité nuit-elle à la liberté ? Dans La démocratie en Amérique, Tocqueville saisit dans toute sa complexité le caractère à la fois nécessaire et ambivalent -parce que susceptible de conduire au despotisme comme à la liberté- de ce qu'il nomme l'égalité des conditions qu'il considère comme un fait providentiel S'il n'est pas le doctrinaire de la démocratie libérale dépeint par Raymond Aron dans Essai sur les libertés[1], il n'en demeure pas moins que l'ensemble de sa philosophie reste marquée par l'exaltation de l'indépendance individuelle et par la méfiance à l'égard du pouvoir politique. [...]
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