Culture de masse, exception culturelle, journées de la culture… Il semble qu'on n'a jamais autant parlé de la culture, dans tous les sens et les acceptions du terme, qu'à partir du moment où l'accès à celle-ci s'est complexifié : les œuvres anciennes deviennent de moins en moins lisibles, la profusion des ouvrages et leur plus grande accessibilité ne favorisent pas leur lecture… Cette reconfiguration du rapport à la culture s'inscrit dans un changement de paradigme beaucoup plus large : la crise de la culture, semble aller de paire avec une crise de la société occidentale, à moins qu'elle ne soit la conséquence directe de cette dernière. La possibilité d'un lien entre ces deux phénomènes nous conduit à nous poser la question du rapport qu'entretiennent culture et société. La société est une association organisée d'individus en vue de l'intérêt général ; la culture est la formation sociale et intellectuelle de ces individus. Le fait que le terme culture soit au singulier le démarque des cultures au sens ethnologique (qui représentent un ensemble d'institutions, de traditions, communes à un groupe). Quel est le rôle de la culture dans la société ? Ces deux notions entretiennent-elles des rapports de concurrence ou de complémentarité ? Sont-elles forcément indissociables ? Cette dernière question va de pair avec une interrogation qui se fait chaque jour plus pertinente au vu de l'actuelle évolution de la société occidentale : une société peut-elle perdre l'accès à la culture ?
[...] La visée de la culture serait, là encore, une réappropriation morale de notre société, dont les valeurs peuvent avoir été détournées ou oubliées avec le temps. Si la culture peut montrer à la société l'écart qui la sépare de ses origines, cet écart n'est pas forcément négatif : il peut s'agir du chemin parcouru La culture contribue à réformer la société : elle a montré qu'elle était à même de fédérer des mouvements révolutionnaires, ou en tout cas d'organiser des après-révolutions (on pense aux Lumières). [...]
[...] Le corollaire de cette affirmation, c'est que la culture est révélatrice de la société qui la fait naître. Ainsi, le théâtre athénien, dans la façon dont il met tous ses spectateurs sur un pied d'égalité (le dispositif en demi-cercle, l'acoustique, donne à tous un aussi bon point de vue sur la scène), est indissociable du système démocratique qui la fait naître ; de même, le théâtre élisabéthain, dans la façon dont il hiérarchise le placement des spectateurs (la place du Roi étant la meilleure, et toutes les autres étant de moins en moins bien positionnées, par rapport à elle, pour profiter du spectacle), est révélateur de la société monarchique. [...]
[...] La culture prévoit des bouleversements sociétaux et, ce faisant, les permet. Cependant, le génie de l'écrivain ne naît pas par hasard : ce n'est pas une comète qui déchire le néant, comme l'imagerie romantique a tendance à le laisser penser. C'est toute une société qui a permis l'apparition de Kant, de Rousseau, des grands penseurs grecs. Ils ne sont apparus que dans un cadre donné, il fallait déjà un certain nombre d'auteurs derrière eux pour les inspirer, ainsi qu'un contexte favorable à la propagation de leurs idées. [...]
[...] Les familles athéniennes étaient, bien sûr, des microsociétés : mais c'est leur choix de fonder une cité qui est à l'origine de la société athénienne. La société apparaît lorsqu'un groupe d'individus décide d'instituer entre eux un rapport de citoyenneté et non plus de parenté, basé sur un contrat social qui transcende les liens du sang jusqu'à là considérés comme les plus fondamentaux. La culture est ce qui permet ce pas, cette saute : elle est l'apport, au sein d'une tribu finalement très proche des modes de vie des animaux, d'une extériorité qui relève de l'abstraction intellectuelle, bien sûr, mais on se souvient que pour les athéniens, la Loi était une forme de divinité suprême, une abstraction. [...]
[...] Enfin, dans le dernier cas, les œuvres culturelles sont reléguées au rang de biens de consommation. Ce qui différencie la société de l'État ou de la communauté, ce sont les rapports principalement économiques qu'elles tissent entre les individus. Or, la culture peut être utilisée à des fins économiques, on peut lui donner une valeur marchande. À ce titre, il convient de différencier société et société de masse, comme le fait Hannah Arendt dans La crise de la culture : La société veut la culture : elle évalue et dévalue les choses culturelles comme marchandises sociales, en use et abuse pour ses propres fins égoïstes, mais ne les consomme pas. [...]
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