A partir de la fin des années 1960, la sociologie de Pierre Bourdieu s'est imposée comme le courant de pensée dominant au sein de la recherche en sciences sociales française. Pendant longtemps, cette sociologie critique a ainsi écrasé toutes les autres approches, occupant à elle seule la totalité de l'espace de visibilité des sciences sociales en France. Par conséquent, la sociologie française a fondé ses analyses, durant au moins vingt ans, sur les même concepts d'habitus, de champs, de déterminisme social, exploitant ces notions jusqu'à saturation, sans vraiment remettre en cause les fondements d'une telle analyse.
Néanmoins, parallèlement à ce courant dominant, se sont tout de même développées à partir des années 1980, une multitude de théories que l'on peut regrouper sous l'appellation de « sociologies pragmatiques ». Ces dernières, tout en restant dans l'optique d'une sociologie de l'action, se détachent de l'approche critique de Bourdieu afin d'étudier les procédés et les ressources mis en œuvre par les individus lorsqu'ils se lancent dans la critique et la dénonciation d'injustice, lorsqu'ils tentent de parvenir à un accord ou lorsqu'ils cherchent à lancer une alerte qui soit entendue. On peut alors parler d'une « sociologie de la critique ». Ces approches, développées notamment par Luc Boltanski, Laurent Thévenot et Eve Ciapello, ont réussi à gagner le devant de la scène sociologique depuis les années 1990.
Faut-il pour autant considérer qu'en abandonnant la posture critique de la sociologie bourdieusienne, les « nouvelles » sociologies pragmatiques ont renoncé à tout engagement dans la vie politique et dans le débat public, à toute action visant à privilégier la justice et la démocratie ? Il serait facile de le penser, mais nous allons tenter de démontrer que ce n'est pas nécessairement le cas.
[...] Ils ont ainsi pu élaborer 6 cités qui sont 6 modèles de justice. Ces 6 cités renvoient à 6 principes supérieurs communs utilisés le plus souvent par les individus pour asseoir un accord ou soutenir un litige. - Ils ont élaboré ces 6 cités à partir de 6 œuvres fondamentales de la philosophie politique. Cité inspiré = Cité de dieu de Saint Augustin = être inspiré, avoir du détachement vis-à-vis de ce bas monde pour préférer le monde céleste Cité domestique = Politique tirée des propres paroles de l'Écriture sainte de Bossuet = grandeur déterminée par la position au sein de la famille, les relations de dépendance Cité de l'Opinion = Léviathan de Hobbes = C'est l'opinion des autres qui détermine la grandeur Cité Civique = Contrat social de Rousseau = Grandeur déterminée par le renoncement à l'intérêt particulier au nom de l'intérêt général. [...]
[...] Les acteurs renoncent au principe supérieur commun, au principe de justice de leur monde de référence pour trouver un principe de justice qui convienne aux deux mondes en confrontation, ils cherchent un principe d'équivalence entre les mondes pour parvenir à un accord. Le compromis vise le bien commun. - Arrangement : ne vise pas le bien commun, il ne vise qu'à satisfaire les intérêts des parties sans se soucier de justifier l'accord au nom d'un principe de justice. Il n'est que local, pas généralisable, pas universalisable (ex. : arrangement à l'amiable). [...]
[...] L'actant, selon Latour, peut être n'importe quoi : un individu, un collectif, une représentation figurative ou non figurative. Ainsi, différent de l'acteur, l'actant peut être une personne comme il peut être un dieu, un animal, un objet, un texte qui remplit un rôle dans une interaction ou un échange quelconque. Cela permet de laisser tomber la séparation entre individuel et collectif. Boltanski parvient à la construction d'un système actantiel composé de quatre actants : une victime, un dénonciateur, un persécuteur et un juge. [...]
[...] Le sociologue a donc pour tâche de convertir les individus à la réflexivité sociologique, afin de leur faire prendre conscience des déterminismes sociaux, sinon dans la perspective de les en libérer totalement, du moins dans celle de commencer à effectuer au plan individuel et collectif un travail d'auto transformation. Remise en cause de l'approche bourdieusienne par son incapacité à penser Or on constate que - Cette vision dichotomique du monde sociale est bien trop simpliste. En effet entre les deux pôles extrêmes que l'on vient de cerner, avant-garde éclairée d'un côté, individus qui ignorent encore la nature des déterminismes qui pèsent sur eux de l'autre, il convient de repérer la position intermédiaire de ceux qui croient savoir, qui ne maîtrisent que partiellement les concepts sociologiques. [...]
[...] Or, depuis la perspective qui est la sienne, la sociologie critique ne prendre cette critique comme objet d'analyse. Ce déplacement de l'objectif de la recherche se traduit par un travail d'explication centrée sur les valeurs dont se réclament les personnes, mais aussi sur les ressources qu'elles mobilisent pour faire valoir leurs compétences critiques. II Un modèle d'analyse de la critique : Les économies de la grandeur (Luc Boltanski et Laurent Thévenot) C'est pourquoi la sociologie pragmatique cherche à clarifier les principes généraux sur lesquels les acteurs s'appuient pour dénoncer des situations d'injustice, pour fonder leur critique, et pour parvenir à des accords. [...]
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