Lorsque l'on parle du corps, la première idée qui nous vient à l'esprit est celle d'un corps non mesurable, vu comme un tout, comme une unité, une totalité. « J'ai un corps ». Cela semble être une évidence naturelle. Nous pourrions parler ici, comme le fait Jean- Claude Kaufmann, du corps biologique. Or J- C. Kaufmann définit cette pensée comme trompeuse. Le corps ne se résumerait donc pas à cela. Ne serait- ce que le titre de l'exposé, « Le corps sous toutes ses coutures », montre qu'il y aurait en fait plusieurs dimensions du corps. De même, l'idée de « coutures », qui peut nous faire penser aux vêtements, renvoie également au fait qu'un corps peut être nu, habillé, ou encore déshabillé, compliquant ainsi la façon dont nous pouvons appréhender cette problématique du corps humain. Le corps serait donc pluriel, multiple. Dans La civilisation des mœurs, Norbert Elias parle d'un processus de rationalisation et d'institutionnalisation des mœurs, des valeurs, des sentiments, des sensations… du corps. Le corps a été et est encore travaillé par et pour le social. Dans ce cas précis, nous pouvons alors parler de corps social, dans le sens où le corps est avant tout un produit de la société, qui est historiquement et socialement situé. Le corps de la Renaissance n'est pas le même que celui d'aujourd'hui. On ne peut pas penser le corps en dehors de son contexte. Il est normé dans une société normative.
Progressivement, ce corps, qui au départ est caché, va se révéler, se libérer. Il va être penser et construit différemment. Dans La construction sociale du corps, Christine Detrez parle du XXe siècle comme le siècle de l'entrée dans l'ère du « corporéisme ». Nous serions alors dans le « siècle du corps » où le souci du corps est devenu un enjeu fondamental. Plusieurs faits tels que le passage d'une société de production à une société de consommation et de loisirs, l'avènement des valeurs de la jeunesse contre celles de la vieillesse, la montée du féminisme dans les années 1960 qui revendique alors la réappropriation du corps par les femmes et entraîne des interrogations sur les notions de genre, le vieillissement de la population et le développement du souci de santé et de la forme, l'impact des nouvelles technologies médicales… le justifient. Nous serions donc rentrés dans une période de libération des corps où l'on a de moins en moins de difficulté à parler de notre sexualité, où le corps est de plus en plus déshabillé… Christine Detrez souligne que la société serait donc dominée par l' « ego ». Elle serait devenue le lieu de repli sur soi, sur les limites de son corps comme marque de l'individu : « Je suis mon corps et j'en fais ce que je veux. Je m'affirme et me définis à travers mon corps ». Elle parle d'un « avènement du narcissisme ». Ce retour sur soi permettrait alors l'exaltation de son corps, le contournement et l'affranchissement des tabous, des contraintes et des normes. Des exemples tels que la transsexualité, la chirurgie esthétique, le body art… montrent que le corps serait devenu un objet, un accessoire que j'utilise comme moyen pour me révéler, me donner une identité.
La sociologie, l'anthropologie, la psychologie… vont s'interroger sur cette problématique du corps comme fait social. On revient à l'idée d'un « corps sous toutes ses coutures », d' « un corps dans tous ses états 3» comme le note Kaufmann, dans un contexte où le regard de l'autre va jouer un contrôle sur ces corps. En effet, le corps est le produit d'une société, mais une société que l'on qualifie aujourd'hui d'image. C'est par le regard de l'autre que le contrôle sur le corps par la société va s'opérer, questionnant ainsi cette idée de libération des corps que la société ne cesse de crier haut et fort. Il convient donc de s'intéresser à cette problématique du corps parce que le corps est la première interface entre nous et les autres et que dans toute pratique sociale, le corps est mis en jeu. Nous allons donc tenter de démontrer que même si le discours ambiant tant à affirmer que le corps s'est enfin libéré, de fait, il reste en réalité très contrôlé dans une société de l'image où c'est le regard des autres qui prend le rôle de contrainte : « Je fais ce que je veux mais pas n'importe comment ». Le simple fait que le corps soit construit par la société, qu'elle soit qualifiée d'image ou pas, remet en question cette idée de libération dans la mesure où la société, avec ses normes, va toujours tenter de le contrôler. Dans une première partie, nous allons donc tout d'abord nous intéresser au discours sur la libération des corps afin de le nuancer (relation corps- sujet). Enfin, dans une deuxième partie, de manière plus générale, nous montrerons que le corps reste travaillé par et pour le social (relation corps- société).
[...] Au corps libéré Avec la fin des années 1960 et le début des années 1970, on voit apparaître la notion de libération des corps, comme si on les débarrassait d'un carcan trop pesant qu'étaient la morale et la bienséance. Phénomène issu de l'individualisation, la libération des corps est un thème fréquemment employé pour illustrer le rôle du corps de plus en plus prégnant dans la société. La mode vestimentaire va marquer cette libération. On n'a plus peur de se montrer, de montrer son corps. C'est l'apparition par exemple, des minijupes, la réapparition des décolletés pour les femmes. C'est d'ailleurs surtout sur les femmes que va s'opérer cette libération. [...]
[...] Rien ne semble moins certain aujourd'hui. Brombarger, Christian, Duret, Pascal, Kaufmann, Jean- Claude, Le Breton, David, Un corps pour soi, Paris, PUF Detrez, Christine, La construction sociale du corps, Paris, Seuil Brombarger, Christian, Duret, Pascal, Kaufmann, Jean- Claude, Le Breton, David, Un corps pour soi, Paris, PUF Le Breton, David, Anthropologie du corps et modernité, Paris, PUF Kaufmann, Jean- Claude, Corps de femmes, Regards d'hommes, Paris, Press Pocket Detrez, Christine, La construction sociale du corps, Paris, Seuil Detrez, Christine, La construction sociale du corps, Paris, Seuil Mauss, Marcel, Les techniques du corps, Société et anthropologie, Paris, PUF Le Breton, David, La sociologie du Corps, PUF, QSJ ? [...]
[...] Le corps qui parle, c'est le corps malade, celui que l'on peut sentir, qui ne se fait pas oublier. On ne veut donc pas d'un corps qui parle. On va privilégier le regard, le pressenti, plutôt que le toucher. On essaie de rendre son corps le plus transparent, le moins lourd possible. Cette pesanteur du corps et du toucher est remarquable au regard des excuses et de la gêne provoquées lorsqu'une personne frôle par erreur une autre. Toucher et se laisser toucher demeurent des actes très intimes. [...]
[...] Elles lui donnent matière comme si elles le faisaient à nouveau exister. Elles lui donnent corps. Le plus révélateur de cette nouvelle expérience du corps est ce qu'on appelle les performances où là le corps est libéré au point qu'il n'appartient pas à un sujet en particulier. Le corps se libère de l'individu, il devient une simple matière qui n'appartient plus au sujet Une libération mitigée Le corps libéré : un corps particulier De même, le corps que l'on montre est un corps auquel on a enlevé toute animalité. [...]
[...] On pense bien évidemment ici en premier lieu, au fait que le corps semble de plus en plus exposé. Des seins nus sur les plages, à l'exposition ouverte de sa sexualité, en passant par de nouvelles manières de parler de son corps ou encore à l'exposition incessante des corps dans les médias, on peut dire que le corps parle de plus en plus et se cache de moins en moins. Dans son livre Anthropologie du Corps et Modernité[4], David Le Breton prend l'exemple de la publicité et du fait que celle-ci aborde de plus en plus des thèmes de la vie intime (les tampons, le papier toilette par exemple). [...]
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