Normes du corps comme normes du genre ont été toutes deux bouleversées en quelques décennies : trouble du genre (Vigarello, 1993, Bromberger, 2005), diversification des modèles corporels, etc. Ce choix d'une vision du corps en désaccord, celui de la femme "marquée", touche aux tabous de nos communautés. Ces résistances à l'ordre corporel (plus ou moins volontaires) nous semblent, alors, propices à en éclairer les règles, plus qu'une étude des règles elles-mêmes. S'intéresser aux populations (supposées ou réellement) déviantes, c'est questionner la norme tout autant que questionner la déviance. Cette entreprise sociologique nous plonge donc au cœur: qu'est ce qui est valorisé, et pourquoi ? A quoi cela renvoie-t-il ? A quel(s) modèle(s) ? Qui dévie et pourquoi ? Avec quelles conséquences ? Des interrogations aussi larges ne trouveront bien sûr pas réponses dans ce travail.
Les contre modèles interrogent la norme dans une double optique. D'abord sur le potentiel coercitif des modèles établis : quelles sont les conséquences à s'en éloigner ? Ensuite, dans la constitution de la norme elle-même : quelle est-elle ? Ce travail, effectué dans la continuité de celui entamé l'année passée sur la place des marques dans certains groupes sportifs outsider (Becker, 1985 ; Elias, 2004), nous a conduit à entrevoir la pertinence de la marque comme objet d'étude. Nous avons postulé pour cela qu'elle était un bon analyseur du corps de la rugbywoman, et plus largement d'un modèle, corporel de la femme (traditionnel). La marque est un indicateur social, un baromètre pour le corps. Elle devient même un enjeu corporel, qui est lui-même contigu à toute remise en cause culturelle. Elle permet en outre de se pencher sur une pratique largement dévalorisée, et sur ses mises en jeu corporelles et quotidiennes. Cette entrée en matière, anodine, interroge sans en avoir l'air ce corps qui s'écarte de la norme. Nous soutenons ici l'idée qu'il est difficile de parler de son anatomie, et ici de ses blessures. L'objet est très personnel, trop intime pour être abordé de face. La trace est donc élevée au rang de moyen d'action, de support pour l'appréhender, même si là aussi, des difficultés liées à la pudeur s'établissent inévitablement entre l'enquêteur (homme) et ses enquêtées. Moyen détourné pour observer, de manière détournée, mais contrôlée, le corps, ses pratiques et ses représentations. La marque en tant qu'empreinte du social, du culturel, et de l'individu introduit ainsi les limites de l'acceptable, le jeu avec la norme et ses conséquences. La marque est saisie comme un analyseur du corps, qui est lui-même analyseur de la société, même si nous n'escomptons pas atteindre, loin de là, un tel niveau macrosociologique A une toute autre échelle, ce sont les stratégies identitaires de sportives au sein d'une pratique masculine, premier stigmate, auquel se surajoute celui de la marque, que viendront tenter d'étayer nos propos. Revendication de la différence, quête ou refus des canons de beauté : que représentent ces marques qu'on croirait bien volontiers stigmatisantes, mais au statut en fait, nous le verrons, bien plus complexe ? Elles convoquent des interrogations à plusieurs regards, qui se mêlent ou s'entrechoquent : individuelles, groupales, sociétales, dans des contextes qui font varier sa lisibilité comme son statut. Les premières parties de ce travail présentent un double enjeu : tout d'abord, contextualiser notre terrain. La construction sociale des corps au rugby révèle en effet quelques particularismes, dont la marque. De là, et par un va-et-vient incessant, nous croiserons les différents regards sociologiques sur le corps et le genre, alternant micro et macrosociologie, terrain et théorie. Cet éclairage théorique nous permettra d'aborder nos questions méthodologiques qui ne seront qu'une articulation de ce qui aura été exposé précédemment. Les outils demeurent à la disposition du contexte culturel, et du cadrage théorique et problématique. Enfin, nous présenterons nos résultats discutés, comme il se doit dans les dernières parties de ce programme.
[...] En véritable "école de la vie", le rugby apprend à la dompter. Elle n'est qu'obstacle à surmonter. L'affrontement de la douleur atteste de la sincérité de l'engagement (Le Breton et y est même magnifiée : le mérite appartient à l'homme qui est dans l'arène, dont le visage est souillé par la poussière, la sueur et le sang. [ ] s'il gagne, il connaît les frissons de la victoire et s'il perd, il aura tout tenté avec ce qu'il a en lui. [...]
[...] Il est bien au contraire, nous le postulons ici, un révélateur profond de notre système de normes et de valeurs. Le corps est d'ailleurs omniprésent. On le découvre et le décline sous toutes les formes, tous les formats et dans tous les médias. Dénudés, contrôlés, déifiés, martyrisés, rejetés, la liste est longue. Sa présence en est tellement "naturelle", qu'elle semble aller de soi. Toutes nos pratiques le mettent en jeu et pourtant, peu d'interrogations le retiennent. A chaque interaction, sa présence se révèle. [...]
[...] Pour faciliter la compréhension de nos outils méthodologiques, l'entretien d'une joueuse, ainsi que son analyse sont proposées en p.3 de nos annexes. Troisième partie : Des cicatrices pour Carte de visite Le plus profond, c'est la peau Paul Valéry Au commencement de cette étude, naïvement, l'équation rugby = marque corporelle nous avait semblé évidente. La confrontation à des femmes présentant beaucoup de séquelles des suites de leur activité allait de soi. Certes, ces licenciés arborent des traces tégumentaires, mais dans des proportions bien moindres que celles à quoi nous nous attendions. [...]
[...] Les critères relevés par Mennesson (2005) pour le classer comme tel mettent en valeur la faible participation féminine à la pratique, son utilisation comme support publicitaire privilégié pour vendre des produits pour les "vrais" hommes (en annexe, p.43), et enfin la convergence symbolique autour de la prise de risque. Comment dès lors, conjuguer une pratique historiquement et culturellement masculine au féminin, ou pour reprendre les termes de C. Suaud, gérer les contre identités de genre (cité par Mennesson 16) ? Le rugby célèbre, voire exacerbe ces valeurs "masculines". En complément de ce virilisme (Liotard, 1999) affiché, le rugby s'inscrit comme un lieu de formation de la masculinité (Saouter 2000). Sa pratique souscrit à son identification en tant qu'homme. [...]
[...] Ces interactions justificatives sont, pour elles, habituelles. Le caractère outsider et confidentiel de leur activité, exigent sa présentation et son explication, face à des profanes curieux ou inquisiteurs : elles ont de la sorte développé des capacités de sauvegarde de la face. Mais ça m'est arrivé des fois de mettre ma polaire de l'A.S Evry exprès, comme ça c'est marqué A.S. Evry rugby, et les gens sont là : ah Voilà ils font le lien et ils arrêtent de se poser des questions. [...]
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