Les Vénus africaines sont un symbole de l'attrait esthétique et artistique que peut exercer le corps humain. Longtemps considéré comme étant le siège du péché de chair, le corps est aujourd'hui réhabilité par l'homme moderne qui voit en lui le symbole de la vie, des possibilités scientifiques démultipliées ou le siège de nouvelles libertés récemment conquises.
Sur un plan strictement biologique, le corps n'est guère plus qu'un amas de cellules, d'organes et de tissus. Ainsi perçu, le corps se réduit à sa matérialité, sa temporalité et son caractère tangible face à l'âme perçue comme immatérielle, immortelle et évanescente. L'âme est l'objet de toutes les attentions car elle seule permet d'accéder à la vie éternelle et de dépasser l'essence mortelle de l'homme. Le corps se limite donc au socle charnel et temporel de l'âme à laquelle il est soumis. Ainsi, les religions du livre (christianisme, judaïsme et islamisme) fulminent-elles le péché de chair qu'une âme pure doit pouvoir surmonter. La volonté, le spirituel doit donc diriger et soumettre l'instinctif, le corporel. La primauté de l'âme sur le corps a ainsi longtemps justifié de limiter le lieu de la sanction au corps afin de permettre la rédemption de l'âme qui, elle, est éternelle (Surveiller et punir, Michel Foucault).
Pourtant, mépriser le corporel au profit du spirituel semble aujourd'hui insatisfaisant voire même dangereux. En effet, la « mort de Dieu » annoncée par Nietzsche et la chute des grandes idéologies ont désacralisé l'âme, désormais perçue comme aussi mortelle que le corps, réhabilitant ainsi ce dernier dans son besoin de protection. Par ailleurs, certaines atteintes portées au corps de l'homme ont conduit à détruire et nier son humanité. Ainsi peut-on penser aux expériences du docteur Joseph Mengele et aux visions des charniers nazis, rwandais ou du Darfour qui semblent réduire les corps à de simples objets destructibles. Dès lors, le corps doit être protégé afin de sauvegarder l'humanité en l'homme. Or, l'esprit peut poser les règles éthiques, morales et juridiques assurant une telle protection. Cette protection du corps par l'esprit est d'autant plus nécessaire que les progrès de la science et de la médecine ont rendu réalisable le mythe de l'être parfait soumettant ainsi l'avenir du corps aux avancées de l'esprit.
En définitive, s'intéresser la perception du corps qu'à l'homme moderne conduit nécessairement à s'interroger sur les rapports qu'entretiennent le corporel et le spirituel. Si l'homme moderne réhabilité le corporel face au spirituel réhabilitant ainsi le corps (I), il reconnaît que ceux-ci ne peuvent être placés sur un pied d'égalité et désacralise le corps en soumettant le corporel au spirituel (II).
[...] Le corps ne peut plus être totalement soumis à l'esprit, mais sa protection ne peut primer sur celle de l'esprit. Refuser catégoriquement la déchéance du corps revient à nier la condition mortelle de tout être humain et à renier sa nature humaine, ce qui ne peut conduire qu'à la déchéance de l'âme ainsi que l'illustre brillamment Le portrait de Dorian Gray d‘Oscar Wilde. [...]
[...] Or, ce culte superficiel du corps peut renforcer l'individualisme rampant qui menace la cohésion des sociétés contemporaines. L'individu se détourne alors des problèmes éthiques, moraux, économiques, sociaux majeurs pour se concentrer sur la recherche d'un corps esthétique. La valorisation extrême du corps face à l'esprit conduit à des impasses, de même que sa démystification totale. Les progrès de la médecine et le décodage du génome humain ont permis d'anéantir les théories racistes fondées sur des différences corporelles et biologiques entre les êtres soutenues par Buffon, Alexis Garrel ou Gobineau. [...]
[...] Au-delà de l'humanité même du corps humain et notamment du visage, siège de toutes les émotions (Emmanuel Levinas), la réconciliation du corps et de l'âme découle également de la désacralisation de cette dernière. La mort de Dieu annoncée par Nietzsche s'est partiellement produite dans les sociétés modernes sécularisées. L'individu refuse désormais de sacrifier les plaisirs corporels à la sauvegarde d'une âme, car il ne croit plus en la possibilité de la vie éternelle. Dès lors, le droit au bonheur doit d'exercer ici et maintenant, le corps devenant le lieu de tous les plaisirs. [...]
[...] Arrêter net la recherche en ce domaine permettra ainsi de limiter le risque. Cette éthique de la non-recherche est un transfuge contemporain de l'heuristique de la peur développée par Habermas dans Le Principe Responsabilité. Selon ce dernier, les recherches scientifiques ne doivent plus être orientées vers la connaissance, mais guidées par la crainte de détruire le monde et l‘homme. Le total pouvoir de la science sur le corps rend ainsi possible le monde imaginé par Aldous Huxley (Le meilleur des mondes). [...]
[...] Pourtant, cette liberté nouvelle accordée sur le corps n'est pas dénuée d'effets pervers. Ainsi, dans un arrêt de 2005, la Cour européenne des droits de l'homme a refusé de condamner un Etat autorisant la pratique de relations sexuelles sadomasochistes particulièrement dégradantes fondant celle-ci sur la liberté de chacun à disposer de son corps. Cette jurisprudence illustre les craintes de Catherine Labrusse-Riou qui craignait qu'au nom du droit au bonheur et à l'épanouissement personnel, l'on ne vienne remettre en cause le principe même de la dignité de la personne humaine. [...]
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