"Aujourd'hui, le renouvellement des cadres de l'administration exige la création d'une école supérieure de politique et d'administration qui, sans avoir le monopole du recrutement des fonctions publiques, offre au service de l'Etat une élite de jeunes gens choisis dans toutes les classes de la nation, sans distinction de rang ni de fortune, sans cooptation ni favoritisme". C'est en ces termes que s'exprime Michel Debré au lendemain de la seconde guerre mondiale dans Refaire la France . L'exigence de démocratisation du recrutement des hauts fonctionnaires y est largement perceptible. Et l'ordonnance du 9 octobre 1945 créant la très célèbre Ecole nationale d'administration – l'ENA – y répond clairement, en instaurant un concours d'accès unique à la Fonction publique fondé sur le principe de l'égalité des chances.
Après soixante années d'existence et le passage à l'ENA de plus de 6 000 élèves, deux grandes opinions la concernant se dégagent. D'une part, elle est considérée comme "l'un des plus beaux fleurons de notre méritocratie républicaine", affirme Jean-Michel Gaillard dans L'ENA, miroir de l'Etat de 1945 à nos jours . Elle est, dans la plupart des esprits, synonyme de réussite, de grandeur et d'excellence. L'ENA constitue ainsi la voie royale d'accès aux plus hautes fonctions étatiques, ouverte à tous grâce à trois concours distincts.
D'autre part, l'ENA est l'objet de vives critiques. Le grief le plus courant serait celui de son "échec", n'étant pas parvenue à assurer la démocratisation dans le recrutement. Elle est ainsi perçue comme une caste, l'Enarchie, qui monopolise le pouvoir et forme un groupe social homogène. A cet égard, Pierre Bourdieu parle même de la noblesse d'Etat . Celle-ci serait l'héritière en France de la noblesse de robe.
Par soucis d'ouverture, le recrutement de l'ENA a lieu aujourd'hui selon trois concours d'accès : le concours externe ouvert aux étudiants justifiant d'un bac +3 ; le concours interne pour les fonctionnaires ou les agents publics ayant une expérience professionnelle d'au moins quatre ans ; et enfin le troisième concours pour les élus, les syndicalistes ou les salariés du privé après huit années de mandat ou d'expérience professionnelle.
Toutefois, l'ENA recrute pour l'essentiel dans les catégories sociales privilégiées. Les chiffres à ce sujet sont éloquents . Entre 1987 et 1996, 64,4% des élèves sont issus de la catégorie socioprofessionnelle (CSP) "cadres et professions intellectuelles supérieures". Au contraire, les enfants d'agriculteurs ou d'ouvriers sont presque absents des effectifs, avec 2,4% des élèves de l'ENA pour les uns, et 5,5% pour les autres. Par ailleurs, la plupart des élèves serait originaire, au regard de leur lieu de résidence, de la région parisienne. Le rapport De Silguy sur La réforme de l'ENA et la formation des cadres supérieurs des fonctions publiques énonce que 74% des élèves des promotions 1998 à 2003 déclarent une domiciliation en Ile-de-France à la date d'entrée à l'ENA .
Certes, depuis quelques années, le nombre d'élèves issus de milieux populaires augmente légèrement, mais la "sélectivité sociale " à l'ENA semble bien réelle. Il convient de se demander dans quelle mesure, au regard de chiffres relevant des origines sociale et géographique des candidats et des élèves, l'Ecole nationale d'administration a échoué dans son idéal de démocratisation.
Ce constat d'hérédité sociale à l'ENA appelle à fournir des explications de plusieurs ordres (première partie). Par ailleurs, il est opportun ici d'exposer certaines solutions proposées pour remédier à ce phénomène, et leur impact réel sur la composition sociale tant des candidats à l'ENA, que de ses élèves (deuxième partie).
[...] Entre 1987 et des élèves sont issus de la catégorie socioprofessionnelle (CSP) "cadres et professions intellectuelles supérieures". Au contraire, les enfants d'agriculteurs ou d'ouvriers sont presque absents des effectifs, avec des élèves de l'ENA pour les uns, et pour les autres. Par ailleurs, la plupart des élèves serait originaire, au regard de leur lieu de résidence, de la région parisienne. Le rapport De Silguy sur La réforme de l'ENA et la formation des cadres supérieurs des fonctions publiques énonce que 74% des élèves des promotions 1998 à 2003 déclarent une domiciliation en Ile-de-France à la date d'entrée à l'ENA[5]. [...]
[...] Réformer les conditions d'accès à l'ENA Des défauts affectent le recrutement des élèves de l'ENA, défauts qui ont tenté d'être corrigés par des réformes successives de la scolarité à l'ENA. La comparaison du tableau de la répartition des élèves de l'ENA en fonction de la catégorie socioprofessionnelle du père entre 1987 et 1996 et celui de l'origine socioprofessionnelle des élèves de l'ENA de la promotion 2000-2002 permet d'en découvrir l'impact. Certes, ce dernier document ne livre les chiffres que d'une seule promotion. [...]
[...] Cette forte proportion de candidats issue des couches supérieures parmi les candidats à l'ENA manifeste un mimétisme certain. Les enfants conservent le plus souvent les mêmes goûts que leurs parents, et ont l'ambition de réussir au moins aussi bien qu'eux. La comparaison des pourcentages de candidats au concours interne à ceux des candidats au concours externe ou au troisième concours, permet de constater que les enfants dont le père appartient aux catégories moyennes ont plus tendance à se présenter au concours interne. [...]
[...] Ces deux voies d'accès ne nécessitent pas un passage par les grandes écoles telles Science politique, HEC ou encore Normale supérieure. Les candidats ont reçu une formation normale moins prestigieuse dans les facultés ou les IUT. La pression sociale de la famille y est aussi bien moindre. B. Les catégories sociales privilégiées réussissent mieux aux concours d'entrée Les tableaux statistiques révèlent également que la réussite au concours d'entrée de l'ENA revient largement aux catégories sociales supérieures, quel que soit le concours. [...]
[...] Cette délocalisation de l'ENA en province répond à trois objectifs. Le premier objectif a une valeur symbolique pour la dynamique de décentralisation qui traverse actuellement la France. Le second consacre la vocation européenne de la ville de Strasbourg, cœur de l'Europe abritant le Parlement européen. Le troisième objectif serait celui de favoriser, dans une certaine mesure, la diversité géographique des élèves de l'ENA. En effet, la localisation en province de l'ENA pourrait accorder plus de crédit aux formations supérieures provinciales. [...]
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