Dans son ouvrage Le souvenir des morts paru en 1997, le sociologue français du XXe siècle, Jean-Hugues Dechaux suit les traces d'un père fondateur de la sociologie du début du XIXe siècle, Alexis de Tocqueville, un des premiers à avoir mis en exergue les travers du processus d'individualisation après y avoir contribué, et vanté les avantages qu'il procure. En effet, si au XIXe siècle, les effets positifs de l'individualisme contribuaient largement à l'attraction du modèle démocratique étant donné qu'il était perçu comme vecteur de liberté individuelle et d'épanouissement personnel dans la sphère privée, il est depuis les dernières décennies de plus en plus appréhendé comme un phénomène véritablement inquiétant par les sociétés occidentales modernes les plus touchées par des crises sociétales majeures.
En effet, l'individualisme serait néfaste à la fois pour la collectivité, car il serait à l'origine de l'affaiblissement de la solidarité collective, mais également pour l'individu étant source d'apathie, d'exclusion et d'isolement. Ainsi, ce phénomène dont les contours de la définition s'avèrent de plus en plus flous est créateur d'un tout nouveau mode de vie en société et de ce fait tenu pour principal responsable des crises sociétales contemporaines.
[...] Le lien de filiation devient contractuel et désacralisé ou chaque membre de la famille est considéré comme des citoyens semblables reliés par une sorte de réseaux de relations sociales semblable à beaucoup d'autres dans ces sociétés contemporaines. Quant à la mémoire familiale et le souvenir des défunts, ils sont désormais appréhendés dans une logique davantage psychologique que collective. Dans cette approche moderne, on est à la fois guidé par le désir d'indépendance et d'autonomie individuelle et dans le même temps par notre famille par le biais de ce sentiment affectif ressenti pour ce groupe que l'on a volontairement cré, mais qui nous lie désormais. [...]
[...] Ainsi, si de nombreux sociologues regrettent cette émergence de l'individualisme familial, vecteur de dilution du lien familial puis social, d'autres comme l'auteur de cet ouvrage, pense qu'il est préférable de l'appréhender comme une métamorphose révolutionnaire de la structure familiale vectrice de modernité. Ce passage d'une communauté de destin à celle de choix ne met donc pas un terme à ce capital social primitif qu'est la famille. Ainsi, la symbolique du lien de filiation étant littéralement modifiée, il conviendrait de se demander si le devoir d'aide et de protection au sein de la famille persiste aujourd'hui dans une société moderne où l'intérêt particulier prime même sur les sentiments affectifs ou moraux. [...]
[...] Quelles seraient alors les causes et conséquences directes sur la sphère familiale de l'individualisme, cette passion propre aux sociétés modernes démocratiques ? Dès lors, si de nombreux facteurs explicatifs de l'individualisme familial appréhendent cette métamorphose comme véritablement préoccupante et à combattre, d'autres la perçoivent davantage comme une conception très moderne non regrettable en raison de sa nouveauté et originalité. D'après le sociologue Louis Roussel comme pour la majorité de la doctrine sociologique, cette thèse de l'individualisme familial serait le fruit d'un affaiblissement du contrôle social et des normes en vigueur permettant de creuser un véritable fossé entre vie privée et vie publique. [...]
[...] La résultante en est que, peut importe que ce phénomène soit appréhendé comme une avancée dans l'Histoire ou un fardeau, il n'en reste pas moins que le lien familial devient incontestablement plus précaire, révocable, incertain et voulu qu'auparavant. Il s'agirait alors davantage aujourd'hui d'un pacte, contrat social auquel l'individu indépendant choisit librement de consentir, ce qui nécessite de redéfinir la notion même de famille, aujourd'hui véritablement différente, mais qui survit à cet individualisme malgré tout. Cette analyse ferait donc quant à elle de l'individualisme une véritable avancée dans l'Histoire que l'auteur se propose d'analyser. [...]
[...] Or, cette véritable révolution anthropologique modifie considérablement la perception de la mémoire familiale et le souvenir des défunts. En effet, certains pensent que notre société est dans le déni de la mort contrairement à la société traditionnelle. Pour Norbert Elias, on assiste à la fois à la désocialisation et la désacralisation de la mort de proches qui apparaissent aujourd'hui comme une affaire, un sentiment personnel privé de toute considération collective donc beaucoup plus difficilement surmontable, renforçant le sentiment de solitude au milieu d'une foule de semblables. [...]
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