Le sentiment que porte la notion d'aventure est ambigu tant celle-ci apparaît polysémique. D'une part "aventure" dit l'espérance du voyage et de la découverte, l'exaltation de l'extraordinaire et même de l'inouï. Il s'y accroche des rêves et des "illuminations " pour prendre le mot d'un poète de l'aventure, Rimbaud. D'autre part, le mot indique le manque d'organisation, la faiblesse d'un projet, voire l'incapacité : on dira d'une politique qu'elle est aventureuse lorsqu'elle prend des risques inconsidérés, ou bien qu'elle n'a pas de but défini. Enregistrant ce sens, le mot "aventurier" est rarement pris en bonne part. La langue semble indiquer que l'aventure en elle-même est belle, par l'attachement que le thème recueille, mais que celui qui s'y livre, l'aventurier, ou l'aventureux, ne bénéficie pas de la même présomption de sympathie.
La contradiction s'aggrave à l'époque contemporaine, si l'on prend ce dernier terme en son acception banale, journalistique, équivalente à "de nos jours". L'aventure est une valeur des sociétés contemporaines, du moins les sociétés développées. On ne cesse de la figurer (dans les films "d'aventures") d'y inciter (dans la publicité) voire de la vendre (à travers un tourisme de découverte). En même temps, tout se passe comme si l'horizon de l'aventure s'était rétréci : dans un monde connu, disponible à travers une information instantanée, rationalisée, la découverte que suppose l'aventure semble plus difficile, plus inutile aussi. Jusqu'aux "aventures politiques", celle du communisme notamment, semblent avoir disparu. On y préfère le modèle plus paisible, plus rationnel, de la construction -celle de l'Europe par exemple.
[...] Incertitude des fins, certitude des moyens Il n'est pas difficile de comprendre que le monde contemporain, celui que nous avons sous les yeux est rétif à tout ce que suggère l'aventure. Monde de l'instantané, monde du " maintenant " que ne cesse de saisir l'image de la télévision où la nouvelle la plus lointaine retentit presque dans l'instant, le monde moderne ne se prête pas au retour sur le parcours accompli nécessaire à la définition de l'aventure. Bien plus : le monde moderne semble être l'exact contraire de l'aventure. [...]
[...] sectes, " nouvel âge l'inconnu : se prête à la découverte (l'idée qu'on retrouvera " la fine et souple valseuse / qui vous semble triste et nerveuse / Par une nuit de carnaval / Qui voulut rester inconnue / Et qu'on n'a jamais revue / Tournoyer dans un autre bal). L'occulte c'est ce qui doit demeurer inconnu, celé, secret (relation au religieux cf. Alain : le dieu est ce qui ne paraît jamais). L'occulte est le succédané de l'inconnu des sociétés démocratiques contemporaines. Mais il ne se prête pas à l'aventure. II.B.3. L'exploit La limite à la place du terme (tout est parfaitement organisé, mais y parviendra-t-on ? Ex : Delarge). [...]
[...] Le même voyage est aventure aux yeux d'un enfant, et route pour ses parents. Et pour prendre un exemple moins réduit, il n'est nullement certain que les marins de Colomb avaient l'impression d'une aventure, du moins jusqu'à la découverte de l'Amérique, ce continent si évidemment différent. Rimbaud part à l'aventure : mais le considérer comme un adolescent fugueur brise l'aventure. " Légendaire chaque jour ce titre du poète Henri Meschonnic figurerait bien ces aventures immédiates, où l'aventure " commence à l'aurore de chaque matin " pour citer une ritournelle. [...]
[...] Aujourd'hui, c'est la forme moderne du récit, le scénario du film d'aventures, qui porte le sentiment de l'aventure. Le support (le média) a changé, de l'oralité du poème à l'image, en passant par l'imprimé. Mais la structure de récit demeure : l'aventure est ce qui se raconte parce que le narrateur possède la fin et de ce point de vue les aventures contemporaines, pour autant que demeure le sentiment de l'aventure, n'ont rien d'original ou de spécifique. Ce sont des aventures prises dans l'obligation d'être racontées. [...]
[...] Nous avons l'esprit " ouvert " " curieux donc nous sommes prêts pour la découverte, prêts à nous prêter à l'aventure. D'où le luxe des aventures imaginaires (films, effets spéciaux). C'est beaucoup plus difficile dans une société holiste où tout (ou presque) est régi par l'habitude : l'aventure qui suppose la différence et l'inconnu sont bannis comme des facteurs de déstabilisation. Mais en même temps, ce monde ouvert à l'aventure des sociétés démocratiques est hyperrationalisé, donc réducteur de l'incertitude (plus d'aventure scientifique; ex le SIDA " c'est une question de temps II.B.2. L'occulte . [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture