« Quand se fait-on vieux? » ; si l'intitulé de cette séance a un écho dans l'actualité, dans un contexte de polémique autour de l'allongement du temps du travail face à la crise du système de retraite, celui-ci renvoie à l'enjeu plus large et ancien du modelage des cycles de vie par les politiques publiques (« Produit de l'activité d'une autorité investie de la puissance publique et de la légitimité gouvernementale », Mény & Thoening 1989). La première étape de cette intervention étatique augurant de la naissance de l'Etat Providence fut la loi sur les retraites ouvrières et paysannes de 1910 qui instaura une assurance obligatoire et une gestion étatique des fonds. Néanmoins, cette loi n'allait pas de soit comme en atteste l'étude de synthèse de Dumons et Pollet et de l'affiche de la CGT de 1911.
En quoi l'analyse comparative de ces documents ayant des approches du syndicalisme ouvrier face aux retraites totalement différentes - partisane ou scientifique - permet-elle d'appréhender les enjeux auxquels était confrontés les syndicats ?
Il est intéressant d'analyser ces textes au vu du contexte dans lequel ils ont été écrits, afin de comprendre leur différence d'approche et la pertinence de leurs arguments (I). Cette analyse comparative (II) et l'apport d'autres auteurs permettront de révéler les défaillances ou omissions éventuelles de ces documents (III) (...)
[...] Or cette concentration du temps de travail, ajoutée à l'augmentation de la durée de vie créé un déséquilibre démographique qui met en péril la solidarité inter-générationnelle au cœur du système de retraite. C'est en sachant tout cela que les auteurs reviennent sur la première des lois de retraite obligatoire gérée par l'État et sur les débats qu'elle suscitât. Dans un contexte où la lutte syndicale est centrée sur la défense des acquis sociaux, ils soulignent au contraire la protestation d'alors contre l'aliénation induite par l'intervention de l'Etat et l'inégalité du mécanisme de capitalisation fiscale -éléments confirmés par l'affiche de la CGT-. [...]
[...] En réalité, la division des dirigeant reflète une division de la base du mouvement (et probablement une lassitude des contradictions au sein de la direction). Si pour Dumons et Pollet, cette dichotomie est une des causes de la crise de 1908-1910, les révolutionnaires enfermant le syndicat dans des questions idéologiques parfois de pure forme, selon les cahiers de l'institut CGT d'histoire sociale, elle est inhérente au syndicalisme et fonde son dynamisme (les réformistes lançant des changements, et les révolutionnaires incarnant une contre-société fédératrice). [...]
[...] Conclusion Le dossier permet ainsi d'éclairer les résistances syndicales face à l'institutionnalisation des retraites au début du siècle, et la division de ces organisations sociales entre les révolutionnaires et les réformistes au sujet de l'interventionnisme. La question du modelage des cycles de vie par les politiques publiques, craint par les syndicats, est aujourd'hui communément accepté, le débat actuel (tant politique -discours de l'UMP- qu'intellectuel -Patrice Bourdelais, L'âge de la vieillesse, histoire du vieillissement de la population, Paris 1993-) tentant de réhabiliter le troisième âge et de le réinsérer dans la vie active en montrant que la vieillesse est socialement construite et associée à la retraite. [...]
[...] En effet, le modelage du cycle de vie des individus par l'Etat est mal perçu par la partie révolutionnaire de la CGT qui y voit un instrument de domination, contrairement aux réformistes qui y sont favorable. Le terme cycle de vie renvoie à la théorie économique de Modigliani selon laquelle l'individu épargne en fonction de son horizon de prévisibilité de façon à disposer d'un revenu stable tout au long de sa vie. Cette notion a été approfondie par les sociologues, dont Norbert Elias (Du temps, 1980), qui étudia l'utilisation et la construction du temps comme fait social contraignant et structurant la vie des individus. [...]
[...] Or, certains déduisent de la crise des retraites que certaines de leurs craintes sont aujourd'hui confirmées. Ainsi, la capitalisation aujourd'hui généralisée exonère certes les plus pauvres mais également les plus riches par le biais de boucliers fiscaux ou par le manque de contrôle sur les évasions fiscales, conformément à la crainte initiale que la capitalisation pèse sur les plus pauvres. Le problème du financement des retraites et la question de l'allongement du temps de travail (notamment sur l'argument que la retraite est normalement liée à l'impossibilité de travailler, tandis qu'elle correspond maintenant au tiers de la vie du fait de l'augmentation de la durée de celle-ci), remet également au goût du jour la question du profit de la retraite: combien en profiteront et combien de temps? [...]
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