La « question agraire » qui concerne actuellement tous les pays d'Amérique Latine est directement héritée de la structure agraire duale et inégalitaire qui se construit à l'époque de la conquête coloniale. Par autorisation légale octroyée par la Couronne, et souvent par usurpation, les Conquistadores, qui ont vocation à devenir les colons du Nouveau monde, s'approprient de vastes espaces et instituent, de fait, le système de la grande propriété (hacienda ou latifundio) : l'hacienda est une grande exploitation extensive de culture et/ou d'élevage, généralement sous-exploitée et employant peu de main d'œuvre, que le propriétaire semble régir dans le sens de la reproduction des structures de pouvoir et de domination oligarchiques plutôt que selon des critères de productivité et de rendement. Les propriétaires d'hacienda ont toutefois les ressources matérielles et financières pour intégrer l'économie industrielle. Alors que les grandes propriétés se multiplient et se modernisent, la paysannerie traditionnelle familiale se trouve cantonnée dans des exploitations dont la superficie se réduit en permanence (expropriation des paysans endettés, division de la propriété familiale entre les descendants du patriarche, accaparement par les propriétaires dominants). L'inégalité dans le rapport au sol est donc, depuis l'époque coloniale, une constante du continent latino-américain. Les campagnes, dans lesquelles coexistent minifundios, voire microfundios, et latifundios, laissent peu de place à la constitution d'une moyenne propriété, à l'exception des zones de colonisation européenne du 19ème siècle du sud du Brésil et de l'Argentine qui, dans le cadre de la mise en valeur du territoire par la « conquête » et la « pacification du désert », repousse le front pionnier afin de libérer les terres du sud du pays pour les migrants européens.
[...] Mais la réforme agraire répond aussi à d'autres exigences comme celles de freiner l'exode rural et de satisfaire les demandes d'une population urbaine croissante. La distribution des terres relève également de considérations politiques : elle est à la fois un instrument permettant la remise en cause du pouvoir dominant des oligarchies foncières traditionnelles (qui se modernisent peu) et un moyen d'apaiser les révoltes paysannes et d'éviter que le mécontentement et la désillusion ne favorisent la main mise de groupes armés sur les paysans sans terre. [...]
[...] ( Les réformes adoptées par les gouvernements démocratiques : Le Chili démocratique présente la réforme agraire la plus aboutie : après les premières réformes d'Alessandri, le nouveau président E. Frei Montalva poursuit le programme réformiste modernisateur sous la consigne la tierra para el que la trabaja : les terres sont distribuées et les paysans organisés en syndicats. L'apogée de la réforme se produit sous la présidence de S. Allende : les latifundistes sont expropriés, leurs terres sont transférées à l'administration étatique ou à des coopératives agricoles. [...]
[...] Les réformes agraires des années 1950 à 1970, qui visent à réguler l'accès à la terre pour répondre aux conflits engendrés par la forme de la propriété foncière héritée de la conquête tout en renforçant la pénétration de l'économie capitaliste dans les campagnes, ont échoué à modifier en profondeur le mode de production. Elles ont toutefois modifié considérablement la configuration du secteur rural agricole en appuyant, presque partout, le démantèlement et la disparition du système de l'hacienda au profit du secteur de l'agriculture capitaliste moderne à finalité exportatrice et du secteur de la petite exploitation familiale moderne intensive. [...]
[...] La création de l'IAN (Instituto Agropecuario Nicaraguayen) par le dirigeant Samoza pour distribuer des lots de terres vierges afin de calmer les conflits sociaux ne modifie pas la structure de la grande propriété. La révolution sandiniste qui arrive au pouvoir en 1979 transforme quant à elle les propriétés foncières de l'ex- dirigeant en propriété d'Etat. Mais il faut attendre 1981 pour que soit élaborée la première loi de réforme agraire qui officialise la confiscation des latifundia sous-exploités, désormais gérés par des entreprises étatiques ou par des coopératives. [...]
[...] Le modèle d'autogestion et d'organisation sous forme de coopérative abolit de fait la grande propriété et le régime oligarchique qui s'était constitué. Toutefois, ce socialisme à la péruvienne ne fait pas l'unanimité : les terres ne sont pas redistribuées à leur occupants originels (les Indiens) mais aux travailleurs paysans. La réforme agraire entreprise au Pérou dans cette conjoncture politique particulière (le régime militaire) est loin d'être généralisable aux autres régimes militaires qui, pour la plupart n'engagent pas de réformes agraires (notamment parce qu'ils bénéficient du soutien de l'oligarchie foncière) ainsi, sous la dictature de Stroessner au Paraguay, plus des trois quart des terres sont entre les mains des grands propriétaires et de l'agro-industrie alors que près d'un demi million de personnes n'ont pas de terres voire s'instaurent justement pour éviter ou stopper la réforme agraire (au Brésil par exemple). [...]
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