L'énonciation du thème « le professionnalisme et l'éthique comme formes d'autocontrôle » apparaît de prime abord problématique et recèle quelques ambigüités. En effet, la mise en commun de ses termes principaux peut sembler comporter quelque redondance car le concept de « professionnalisme » renvoie, lato sensu, à une déontologie de profession et de professionnel, et donc à une éthique : le professionnalisme est une éthique, une éthique professionnelle. Il apparaît alors que deux formes d'éthique sont concernées ici : une éthique professionnelle, qui fonde un code de conduite applicable dans les limites d'une profession, et une éthique qu'on peut qualifier de « générale », plus large reposant sur des valeurs morales et des idéaux de justice supérieurs et transcendantaux. Plus encore, pour creuser le distinguo entre ces deux types, on peut convoquer avec pertinence la catégorisation établie par Max Weber qui soutenait que « toute activité orientée selon l'éthique peut être subordonnée à deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées », à savoir « une éthique de conviction » et « une éthique de responsabilité » (M. Weber, 1959).
Agit selon « l'éthique de conviction » celui qui se réclame de principes supérieurs, généralement moraux ou religieux, et n'est justiciable de son action que devant lui-même ou une entité transcendantale. Agit selon « l'éthique de responsabilité » celui là qui conforme ses actes à un code de conduite assimilé et auquel il s'identifie, et qui est, a fortiori, justiciable de ce code. Ici, l'action est fortement personnalisée et repose sur un savoir détenu. Bien qu'on puisse apporter quelques réserves à Weber, sur la radicale séparation de ces deux types d'éthique, on peut reconnaître le mérite de la distinction des logiques et des références d'action dont elles se réclament qui s'opposent notamment aux approches formelles-légales qui définissent comme fondement éthique de l'action la soumission aux lois et règles formelles établies, et aux ordres de supérieurs hiérarchiques (Finer, 1941). Le contrôle ici est externe.
Dans les organisations publiques les agents invoquent souvent, comme mobile de leurs actions, les deux types d'éthique sus-cités. Cela suppose une certaine autonomie et discrétion dans la prise de décision et dans l'action, et une forme de contrôle intrinsèque car, que ce soit au nom d'une morale estimée supérieure ou d'un code de conduite assimilé et propre à un corps professionnel, l'ultime ressort de l'action se trouve dans la conscience et ressortit de l'appréciation personnelle de l'agent. Il est interne.
Cette forme de contrôle pose de nombreux problèmes dont celui de la responsabilité de l'agent. La garantit-elle toujours ? Rien n'est moins sûr. De nombreux exemples tendent même à en illustrer le contraire. Ainsi, nous pouvons donc légitimement nous demander dans quelle mesure ces deux types d'éthique, éthique professionnelle et éthique générale, constituent des formes d'auto-contrôle menant à responsabiliser l'agent public. Et aussi, à quel moment peut-il y avoir recours ? Pour répondre à ces questions, nous aurons dans un premier temps, à étudier les ressorts de la responsabilité fondée sur ces deux types de contrôle intrinsèques (I), puis nous en explorerons les limites en en présentant les dangers et les risques pour le contrôle (II).
[...] La responsabilité professionnelle peut avoir un effet valorisateur dans la mesure où l'agent se sent impliqué et peut constituer un ferment pour l'action. Dans cette droite ligne il serait intéressant de noter cette pensée de William Ouchi (1980), dans son étude sur les organisations et sur leurs conditions d'efficience, sur la bureaucratie : Les bureaucraties sont caractérisées aussi par une emphase sur l'expertise technique qui procure des compétences professionnelles et une socialisation par et au sein de standards professionnels. Les professionnels dans une bureaucratie combinent ainsi une affiliation primaire et essentielle avec l'orientation de leur carrière ce qui augmente le sens de la solidarité avec l'employeur et réduit ainsi l'incompatibilité de buts Il souligne ainsi l'importance que revêt l'assimilation de standards professionnels dans la construction du sentiment d'appartenance à une profession et des liens de solidarité. [...]
[...] Il convient d'examiner de plus près ce que recouvre chacune de ces formes et en quoi peuvent-elles constituer des formes d'auto- contrôle. L'éthique professionnelle comme forme d'auto-contrôle Il importe de souligner tout d'abord que la notion de profession renvoie à l'idée de corps ou de groupe organisé qui obtient pour ses membres des avantages liés à son statut. Dans cet ordre, le professionnalisme renvoie à la déontologie de ce groupe, c'est-à-dire un ensemble de valeurs, de normes, de principes, de standards qui orientent son action et le distinguent d'autres groupes et de la société en général. [...]
[...] II- Les limites des contrôles intrinsèques ou la responsabilité élusive de l'agent public Les limites du contrôle exercé par le professionnalisme et l'éthique générale peuvent se résumer en un argument que nous empruntons à M. Finer : Tôt ou tard il ya un risque d'abus des agents publics si un contrôle externe et des sanctions externes ne sont pas établies (1941, p.337) ; car, dit-il plus loin, reprenant une idée de Rousseau, les hommes ne sont pas foncièrement mauvais même s'ils ne sont pas toujours sages (p.339). [...]
[...] Cela suppose une certaine autonomie et discrétion dans la prise de décision et dans l'action, et une forme de contrôle intrinsèque car, que ce soit au nom d'une morale estimée supérieure ou d'un code de conduite assimilé et propre à un corps professionnel, l'ultime ressort de l'action se trouve dans la conscience et ressortit de l'appréciation personnelle de l'agent. Il est interne. Cette forme de contrôle pose de nombreux problèmes dont celui de la responsabilité de l'agent. La garantit-elle toujours ? Rien n'est moins sûr. De nombreux exemples tendent même à en illustrer le contraire. Ainsi, nous pouvons donc légitimement nous demander dans quelle mesure ces deux types d'éthique, éthique professionnelle et éthique générale, constituent des formes d'auto-contrôle menant à responsabiliser l'agent public. [...]
[...] En conclusion, on peut noter que le contrôle intrinsèque exercé par le professionnalisme et l'éthique générale apparaît très controversé. Visant l'amélioration de l'agent, il peut aussi mener à toutes sortes de dérives. Il serait donc souhaitable, pour plus d'efficience de l'allier à d'autres formes de contrôle comme les contrôles externes et formels-légaux, ceci, dans le but de favoriser la double internalisation des buts de l'organisation par l'agent et la légitimité de l'autorité politique (Burke, 1986) représentative des intérêts populaires en démocratie. [...]
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