Grands classiques de la sociologie, Norbert Elias, 1897-1990, civilisation, sociétés humaines, violence physique légitime, Max Weber, Sigmund Freud, habitus, Emile Durkheim, André Ducret, conduite humaine, configuration sociale
Là où la notion de "civilisation" avait longtemps été réifiée et conçue comme un idéal à atteindre et diffuser (Condorcet, Mirabeau), ou bien comme une somme de réalisations nationales connaissant une naissance, un développement et une fin (Spengler), Norbert Elias envisage la civilisation comme un processus, qu'il dégage de toute considération évolutionniste et manichéenne. En effet, expliquer l'ensemble de l'histoire des sociétés humaines de manière linéaire et déterministe pour en tirer un jugement en termes de bien et de mal, de souhaitable ou nécessaire, n'intéresse pas Elias.
[...] Premièrement, son étude de thèse sur la cour royale de Versailles, au XVIIe siècle. Dans cette étude, Elias met l'accent sur les relations interindividuelles qu'il s'agit d'appréhender dans une perspective dynamique, puisqu'elles évoluent constamment. Les mœurs et les conduites que l'on qualifie couramment de « mondaines » ont une histoire faite d'interactions multilatérales entre groupes et individus se trouvant dans des configurations sociales bien spécifiques, qui se re-définissent constamment. Cet intérêt pour les normes, les pratiques et rituels intériorisés au fil du temps conduit Elias à la conclusion suivante : l'histoire des sociétés, qu'il appelle civilisation, a eu pour conséquence une intériorisation de normes sociales pacifiques par les individus, qui les respectent et en reproduisent les pratiques de manière automatique, sans y penser. [...]
[...] Le terme de configuration a le mérite de ne pas revêtir le caractère statique, figé qui entoure la notion de structure et qui ne sied guère aux groupes humains, mais de rendre compte du caractère dynamique de ces groupes humains, dont l'évolution est constante. Pour Elias, chaque configuration sociale est souple et dynamique, et a des conséquences durables, si bien que si un homme entre dans l'histoire pour en avoir supposément changé le cours, c'est parce qu'un ensemble de configurations sociales lui a donné une marge de manœuvre suffisante pour en faire un peu plus que les autres. [...]
[...] André Ducret s'interroge donc : pourquoi Elias, dont la sociologie configurationnelle est si semblable à la sociologie compréhensive de Weber, a-t-il été si critique à l'égard de ce dernier ? Pour résumer sa critique à gros traits, Elias reproche à Weber le néo-kantisme dont est empreinte son épistémologie : d'après lui, la sociologie wébérienne est teintée d'un certain idéalisme individualiste, ce qui s'observerait concrètement dans l'approche développée par Weber dans son étude de l'action et de la conduite humaine. Elias affirme que Weber, pour élaborer sa typologie de l'action, est parti de l'individu détaché du social pour reconstruire par la suite les motivations qui pourraient fonder l'action d'un tel individu hors du social s'il était amené à devenir socialisé. [...]
[...] Max Weber y consacrait un type idéal de conduite humaine, qu'il nommait action traditionnelle. Pour Freud, auteur du Malaise dans la civilisation, cette intériorisation (auquel il préfère le terme de refoulement) produit une frustration chez les individus, qui peuvent voir resurgir des brides de leurs pulsions d'antan. Elias, quant à lui, ne se satisfait pas des explications essentialistes freudiennes (selon lesquelles l'homme est par nature animé par des pulsions sexuelles et agressives) et explique ce qu'il appelle la « psychogenèse » des individus par ces constructions sociales historiquement situées. [...]
[...] Mais cela ne signifie pas qu'il doit abandonner l'ambition de l'étudier de manière rigoureusement scientifique. Pour Weber, il convenait de distinguer entre les jugements de valeur pouvant fonder une étude sociologique ou survenir en son cours, qu'il fallait bien entendu éviter, et le rapport aux valeurs du chercheur. Ce dernier ne pourra pas s'empêcher d'être orienté par son appartenance à certains pans de la société qu'il étudie, par ses dispositions intellectuelles et orientations politiques. Cela n'est en rien un problème, car l'intérêt d'une étude repose largement sur les questions que le chercheur pose au réel, ces questions étant influencées par son rapport aux valeurs. [...]
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