La famille paraît s'imposer d'évidence comme le modèle d'organisation de la vie privée. Or en replaçant la famille dans sa dimension historique et en évoquant les principales règles civiles en la matière, il est permis de comprendre autrement notre relation à la procréation, à la filiation, à la parenté. Il est même surprenant de constater que la naturalisation de la famille n'est pas l'apanage de la pensée théologique, mais qu'elle demeure chez les théoriciens contractualistes, alors que ce sont ces derniers qui ont exprimé avec le plus de vigueur la conception culturaliste des liens sociaux.
[...] Ainsi l'anthropologue Agnès Fine propose la reconnaissance d'une pluriparentalité qui n'est pas seulement liée à la place de plus en plus importante de familles recomposées dans notre société. Elle a été aussi portée par la prise en compte croissante de la question identitaire qui s'est exprimée sous la forme revendicative d'un droit de l'enfant à la connaissance de ses origines, pour les enfants adoptés ou ceux qui sont nés de procréation médicalement assistée »16. Elle regrette que, contrairement au RoyaumeUni et à l'Allemagne, la France reste à l'écart du modèle de l'open adoption, c'est-à-dire sans rupture avec la filiation biologique. [...]
[...] La situation est si paradoxale qu'il est permis de se demander si cette naturalisation de la famille ne constitue pas la limite effective de leur pensée. Les effets de cette négligence (volontaire ou involontaire) ont eu des conséquences marquées : la famille deviendra l'espace le plus tardif à être politisé et le plus difficile à démocratiser. Pourtant, le caractère historique de la famille a été démontré par tous les courants sociologiques depuis le XIXe siècle. Engels expliquait les dynamiques familiales à partir des rapports sociaux de production. [...]
[...] Bien que régie par le droit privé, l'alliance matrimoniale est aussi une affaire publique : elle instaure, en effet, un modèle d'unité sociale fondé sur la domination des femmes. Diverses formes de conjugalité ont coexisté à Rome. L'union légitime originelle était le mariage cum manu avec main la soumission de la femme passant de la main du père à celle du mari) ; ce mariage connaissait trois modalités : par cérémonie rituel, par contrat, par l'usage après un an de cohabitation confarreatio, coemptio, usus).5 Edward Evans-Pritchard, La femme dans les sociétés primitives et autres essais d'anthropologie sociale (1963). [...]
[...] Il faut ainsi attendre 1095 pour qu'une nouvelle loi de l'empereur byzantin Alexis Ier Comnène mette fin au contubernium qui régissait encore la conjugalité servile. Au siècle suivant, en Occident, la décrétale Dignum6 du pape Adrien IV (1154-1159) reconnaît, à l'encontre du droit féodal dominant, le droit des serfs à contracter mariage de leur propre chef, sans le consentement de leur seigneur. Le droit canonique voit alors l'essence du mariage dans l'échange des consentements entre époux devant témoins, non dans un rituel. [...]
[...] Par ailleurs, il faut mentionner que, depuis la fin des années 1970, les théories recommandant une nouvelle institutionnalisation de la famille sont accompagnées d'un désengagement de l'État en matière sociale. De telle sorte que les familles qui disposent d'une plus grande capacité financière peuvent suppléer les carences de l'État-providence, d'autant plus qu'elles demeurent pratiquement les dernières bénéficiaires de celui-ci. Jacques Commaille et Claude Martin3 ont notamment montré le caractère profondément inégalitaire de nos sociétés dans lesquelles tous les individus suivant leur appartenance sociale, suivant leur sexe - ne disposent pas des mêmes ressources pour s'y inscrire positivement. [...]
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