[...] Si l'idée de mobilité sociale peut s'imposer même dans les systèmes politiques les plus conservateurs ou traditionalistes, elle est cependant plus valorisée dans les idéologies favorables au changement économique et social. Le libéralisme économique peut ainsi y voir une condition de l'équilibre ou du développement économique : tout ce qui favorise la reproduction de situations acquises est dénoncé comme frein à l'adaptation et à la régulation économique et sociale qui doivent s'établir spontanément dans le jeu d'une libre concurrence permettant aux meilleurs de s'imposer. La mobilité sociale apparaît alors comme mobilités du capital et du travail : les travailleurs, en particulier, doivent être ?libres? non seulement de passer contrat avec les employeurs, mais de se déplacer pour le faire, de changer d'activité en fonction des opportunités ou des besoins, d'acquérir à tout moment la formation nécessaire à cette fin. Il faut donc éviter dans cette idéologie tout ce qui attache la main-d'oeuvre à un lieu ou à des fonctions définies, et en particulier sa formation et sa reproduction dans un cadre corporatif.
[...] Les parcours de mobilité sociale sont le plus souvent lus au travers de tableaux statistiques, même si l'approche des généalogies sociales (Daniel Bertaux) par entretiens et la recherche historique (archives, lettres, documents) sont complémentaires afin de repérer les différentes formes de mobilité et la diversité des significations sociales des changements correspondant à la mobilité sociale. Ces deux approches permettent notamment de découvrir les processus psychologiques qui accompagnent ou rendent possibles les changements individuels (l'entrée dans une secte, la prise en charge de l'individu par une institution totale telle l'armée, les rites de passage marquant un changement de statut tel le mariage) et ouvrent sur des catégories d'analyses telles la ?carrière? qui ne se réfère pas uniquement au changement de titre ou de position dans le travail, mais aussi aux séquences typiques de certains parcours biographiques. Il devient ainsi possible de dégager des types de carrière biographique en compatibilité avec divers contextes historiques et économiques.
[...] La société française est caractérisée au cours du XXe siècle par le déclin des emplois agricoles, mais ce déclin affecte plus fortement les salariés agricoles que les exploitants. Cependant, la forte réduction du nombre des agriculteurs, accompagnée d'un déclin, beaucoup moins marqué, de la part des patrons de l'industrie et du commerce, correspondent globalement à une réduction des emplois indépendants et à une croissance des emplois salariés (ces derniers représentent 85% de la population active en 1982, avec un taux plus élevé dans la population féminine active). Même la croissance des effectifs des professions libérales n'a pas remis en question cette tendance à la salarisation de la société, à tel point que les professions libérales s'exercent de plus en plus dans un cadre salarié (cabinets d'assurance fonctionnant avec des avocats salariés, médecins des cliniques, etc.). Mais si les emplois agricoles ont baissé, les emplois ouvriers ont également suivi cette tendance : ce n'est pas l'industrialisation qui désormais caractérise l'évolution des emplois comme à la fin du XIXe siècle et jusque dans l'après-guerre, mais le développement des emplois non-manuels du secteur tertiaire, avec une évolution des employés et, surtout pour les hommes, des cadres.
[...] Cependant ces évolutions des groupes sociaux sont aussi influencées par des comportements différenciés qui à terme pèsent lourdement sur les distributions finales des individus dans l'espace social. Parmi ces facteurs de différenciation, rappelons l'inégalité devant la maladie et la mort, l'une des expressions les plus brutales des inégalités sociales qui est à l'origine de la durée différente pendant laquelle les actifs jouissent des droits à la retraite, aux loisirs, au repos, à la distraction. Rappelons ensuite le poids des comportements démographiques différents liées à l'appartenance des individus aux groupes sociaux : la nuptialité différentielle constitue l'un de ces facteurs. D'abord, dans la population active masculine, le mariage tend à opérer une sélection sociale, le taux de célibat augmentant lorsqu'on descend dans l'échelle sociale (taux plus élevés chez les petits paysans, les salariés agricoles, les manoeuvres). Par conséquent, la possibilité des groupes sociaux de se reproduire se trouve réduite dans les groupes dont les effectifs sont déjà en baisse. (...)
[...] Cette articulation des mouvements macrosociaux et microsociaux montre que ce qui importe à l'analyse sociologique, ce n'est pas seulement la position observée à un moment donnée, mais aussi la pente de la trajectoire sur laquelle se position s'inscrit. L'analyse doit prendre en compte des temps plus longs, qui sont les temps du changement social selon des mécanismes structurels (la loi mécanique de la demande et de l'émergence d'une offre de main-d'oeuvre) et des mécanismes sociaux, voire sociologiques, qui touchent les conditions objectives dans lesquelles le passage d'une position, d'un univers, d'une place à une autre est envisageable, envisagé et réalisé par l'individu. [...]
[...] Dans un travail sur la mobilité sociale comme “conduite, orientée et significative, d'un acteur, A. Touraine distingue trois significations du passage de l'agriculture à un emploi ouvrier : le “déplacement”, mouvement qui conduit un individu du champ à l'usine à côté et qui n'implique pas d'abandonner le village ; le qui implique une migration vers un centre industriel ; la “mobilité” proprement dite, qui implique une volonté ou une perspective d'ascension. Il n'y aurait “conduite de mobilité sociale” que lorsque la volonté d'ascension sociale commande le déplacement. [...]
[...] Commenous l'avons dit plus haut, la mobilité verticale doit toujours comprendre les tendances à la mobilité ascendante autant que les tendances à la mobilité descendante. Pour cela, il faut toujours garder à l'esprit que la mobilité dans un sens ou un autre n'est pas indépendante de celui des occasions de mobilité offertes aux individus, et par conséquent de l'ensemble des formes de mobilité. Par ex mobilité sociale et mobilité géographique peuvent être étroitement associées : Bastide et Girard (1974) affirment que la mobilité spatiale est un corollaire de la mobilité sociale. [...]
[...] - Les agriculteurs constituent l'exemple typique d'un groupe que l'on peut considérer comme mobile ou immobile selon que l'on observe à partir de la destinée ou de l'origine des individus. Le constat est que les fils d'agriculteurs ne sont pas très nombreux à hériter de la profession du père, mais les agriculteurs d'une génération donnée sont presque tous des héritiers : on peut naître agriculteurs, on ne le devient guère des agriculteurs ont aujourd'hui entre 41 et 59 ans et ne sont pas fils d'agriculteurs ; ces 14% ont suivi un trajet où l'hérédité n'est pas biologique (de père en fils) mais passe par d'autres formes de transmission des agriculteurs actuels sont gendres d'agriculteurs ou petits-fils d'agriculteurs). [...]
[...] Les formations scolaires et la valeur des diplômes peuvent se transformer plus rapidement queles structures sociales, ce qui rend instable la relation entre dilôme et position sociale : ainsi le niveau de recrutement des instituteurs (de la classe de troisième à la licence) en est un exemple manifeste. La structure sociale apparaît alors plus rigide ou fermée aux individus dont les aspirations sociales se sont façonnées à partir d'un état antérieur de relations entre leur diplôme et les positions sociales. [...]
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