Stéphane Beaud, est né en 1958. Agrégé de sciences sociales, docteur en sociologie de l'EHESS, il est maître de conférences à l'université de Nantes. Il est également chercheur associé au laboratoire des sciences sociales de l'Ecole Normale Supérieure et membre du CNRS délégué au laboratoire Cultures et Sociétés Urbaines. Auteur de Pays de malheur, écrit en collaboration avec Younes Amrani, Retour sur la condition ouvrière, ou encore Violences urbaines, violences sociales. Genèse des nouvelles classes dangereuses, il se propose ici d'analyser les effets de la démocratisation scolaire sur les enfants d'ouvriers. 15 ans après le mot d'ordre de Jean Pierre Chevènement 80% d'une génération au bac comme objectif de l'enseignement supérieur, il revient sur le destin scolaire de quatre jeunes d'origines immigrées, issus d'un collège de ZEP et fils d'ouvriers. Il se propose d'étudier les effets de cette mesure. Ainsi à partir d'une enquête de terrain menée de 1990 à 2000 il différencie nettement les deux processus de massification scolaire et de réelle démocratisation de l'enseignement autour de la problématique suivante : la très forte poussée de scolarisation de la période 1985.1995 s'est-elle réellement accompagnée d'une démocratisation scolaire ? L'accès aux études supérieures a-t-il réellement permis aux jeunes concernés de satisfaire leurs espérances ?
Le terrain et l'enquête :
L'enquête se déroule à Granvelle, dans un quartier d'habitat social, construit au début des années 1960, à Gercourt, à environ 8 Kms de Montbéliard. Peuplé principalement des familles d'ouvriers de l'usine Peugeot, de contre maîtres, d'employés ou d'enseignants jusqu'au milieu des années 1970, Gercourt voit ces classes moyennes partir pour des lotissements. Cela coïncide avec l'arrivée des familles immigrées suite à l'accélération du regroupement familial et devient un pôle de fixation des familles d'ouvriers d'origine immigrée. La réhabilitation qui démarre au début des années 1980, ne touche pas équitablement les immeubles et s'achève par la relégation des familles nombreuses et immigrées dans les zones les plus excentrées. C'est sur des jeunes exclusivement issus de ces quartiers que l'enquête porte, d'où la forte représentation d'enfants immigrés issus de familles nombreuses et souvent dont les parents sont analphabètes.
Ainsi dans un premier temps, Stéphane Beaud suit les parcours scolaires des collégiens de la ZEP, proche de Granvelle, au lycée du centre ville. Il étudie ces lycéens de Granvelle de première génération orientés dans les filières les moins nobles et les effets qu'il a perçu, tant au niveau psychologique que dans les rapports au quartier (...)
[...] Il a ainsi constaté que, les enfants d'immigré parlent d'eux même assez souvent à l'enquêteur, voire le recherchent. En raison de cette immersion totale dans le milieu et de l'intensité des échanges qui ont eu lieu, l'auteur reconstitue fidèlement la relation enquêteur/enquêtés. En effet, il parle de dominicentrisme dans sa relation avec les enquêtés et note qu'ils ne montrent pas toujours toute leur personnalité et qu'il faut en tenir compte dans le compte rendu. Pour marquer ces interférences dans la relation sociale avec eux, il privilégie le je et non le nous traditionnel, dans son compte rendu. [...]
[...] On observe aussi une baisse du nombre d'élèves qui augmenter le niveau des classes. La relégation des élèves les moins bons dans les filières les moins prestigieuses peut être ressentie comme une exclusion de l'intérieur qui donne parfois lieu aux manifestations d'une culture anti- école dans les lycées de la périphérie. Ces éléments sont autant de facteurs qui font que les élèves ne se sentent plus protégés au sein de l'Ecole. L'injustice s'est déplacée au sein de l'Ecole alors qu'elle réuni de plus en plus les conditions de l'égalité. [...]
[...] D'autre part le fait de faire du chiffre a entraîné une dégradation des conditions d'accueil des lycées généraux. Il a fallu inventer de nouveaux mécanismes institutionnels et pédagogiques pour accueillir l'afflux d'élèves selon les établissements. L'auteur suggère également une formation pour l'adaptation des professeurs à ce nouveau public. Contraint d'appliquer immédiatement cette mesure, le système scolaire déstabilisé a dévalorisé l'ascèse scolaire nécessaire à la réussite En effet l'étude comparative de deux lycées de Gercourt nous montre que si certains établissements ont su apporter des réponses pédagogiques aux nouveaux arrivants, d'autres ont renforcé la hiérarchisation des filières rendant les conditions de l'adaptation de ces élèves encore plus difficile. [...]
[...] Ce que Stéphane Beaud fait apparaître ici ce sont les effets de cette mesure sur le statut des ouvriers. Ainsi à la dévalorisation de ce statut s'ajoute le flou de la massification scolaire des lycées et des universités qui semble mener à une égalisation progressive des enseignements généraux et professionnels, alors que les hiérarchies ne changent pas mais ne sont que différées. L'embauche se fait donc à un niveau plus élevé mais non contents de trouver un emploi même déclassé, ces jeunes acceptent et constituent une nouvelle manne de main d'œuvre alimentée et diversifiée pour les entreprises. [...]
[...] C'est cette confrontation avec l'université qui leur fait prendre conscience de leurs lacunes, de leur inadaptation et leur indignité et par là même de ce qu'on a voulu leur faire croire. Ainsi l'auteur parle d'une génération de jeunes qui se retrouvent à l'université sans pouvoir continuer, et peuvent se demander, légitimement, si ils n'ont pas servis de cobayes dans une expérience scolaire. De plus ils ne parviennent pas à se détacher suffisamment du quartier pour apprendre à travailler séparément. La décentralisation des universités ne résout donc pas le problème car elle ne favorise pas le brassage social et la coupure avec le quartier, éléments indispensables à l'acculturation universitaire. [...]
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