Père de l'Europe, Antonin Cohen, L'illusion biographique, Pierre Bourdieu, biographie, Jean Monnet, universalisation du récit des origines, Mémoires, Fondation Ford, Modernisateurs, Europe, histoire de vie, commentaire
Antonin Cohen est docteur en sciences politiques. Il est l'auteur d'un des deux textes étudiés dans notre corpus de documents, Le "Père de l'Europe", un article au sein de la revue La construction sociale d'un récit des origines. Celui-ci est publié en 2007 et vise à démontrer qu'un événement est fabriqué par ceux qui en répandent la renommée...
Le second texte étudié est un article de Pierre Bourdieu, considéré comme l'un des principaux sociologues de la seconde moitié du XXe siècle, intitulé L'illusion biographique, publié en 1986, et compris dans la revue Actes et recherches en sciences sociales. Cet article est une critique exprimée à l'encontre de l'approche biographique, et plus spécifiquement de la notion "d'histoire de vie"...
Ce corpus de documents offre des visions distinctes de la biographie, aussi bien de son usage, de son efficacité que de sa portée. Il conviendra donc de se demander dans quelles mesures le récit des origines a contribué à l'édification de Jean Monnet au rang de "Père de l'Europe". Mais aussi de s'intéresser aux enjeux que cela implique.
[...] Les enjeux sont donc de glorifier l'Europe via la figure de Jean Monnet, et plus spécifiquement, via cet acte fondateur, afin de remettre à jour une idée précédemment ébranlée. En effet, cette commémoration intervient à l'issue d'échecs successifs de nombreuses entreprises d'unification militaire et politique, puis dans un contexte d'autonomisation progressive du marché européen dans lequel s'inscrit la création de la Communauté économique européenne. Par ailleurs, lors de cette célébration, sont reliés la CEE avec la Communauté européenne du Charbon et de l'Acier à une origine univoque et unique, laissant à penser que toutes les organisations et institutions se sont vues investies d'un « intérêt « proprement européen. [...]
[...] Une autre ressource est le changement que les Mémoires de Jean Monnet ont occasionné dans divers champs interdépendants : les transformations du champ journalistique dû à la promotion de l'approche biographique qui engendrent une série de transformations dans le champ politique, notamment l'individualisation d'hommes politiques saillants. Puis, apparaît aussi la construction opérée par les réseaux invisibles de récits déjà produits, que les témoignages postérieurs viennent répéter. Cet élément contribue par conséquent à légitimer davantage ce récit des origines dans sa globalité, car plus il est repris, cité, plus son crédit auprès des tiers augmente, représentant une forme d'assentiment, de validation. [...]
[...] Dans un premier temps, Jean Monnet fait part, en 1962, de son envie d'écrire ses mémoires, et du besoin d'un historien pour l'y aider. S'y ajoutent encore d'autres acteurs, comme la Fondation Ford, dont le soutien permet à Jean-Baptiste Duroselle, ainsi qu'à plusieurs autres étudiants de faire plusieurs recherches dont Jean-Monnet est l'unique objet. Par la suite, il recrute quelques historiens, et opère une répartition des différentes périodes de la vie de Jean Monnet, qui, pour leur simplifier la tâche, leur ouvre ses archives personnelles. [...]
[...] Toutefois, il faut faire ici état des enjeux ainsi que des intérêts derrière ce bouleversement politico-social. En effet, la commémoration bénéficie d'une « conjonction de dates extraordinaires », puisqu'elle célèbre l'unité de l'Europe, le lendemain même de celle du 8 mai 1945, donc de sa division. Voilà le réel intérêt du Président de la République de l'époque : passer à l'oubli une partie sombre de l'Histoire européenne, au profit de son union. Néanmoins, cette résolution n'est pas accueillie sans émoi, et provoque aussi bien de l'indignation que de l'amertume. [...]
[...] Toutefois, il ne faut pas négliger l'efficience de l'entourage immédiat de Jean Monnet dans la propagation de ce récit. En effet, ils écrivent notamment des articles commémoratifs de la déclaration du 9 mai 1950, dont le premier était l'œuvre de François Fontaine, en 1960, publié dans Le Monde. En son sein, il affirme que cette déclaration incarne le « commencement absolu » qui a se former dans la « nébuleuse européenne » un solide » grâce à l'action de « quelques hommes ». La précision de « quelques hommes » étoffe davantage toute la mythification qui entoure la construction européenne, insistant sur le fait qu'elle est le produit de peu d'hommes donc derechef insiste sur le mérite attribuable à Jean Monnet. [...]
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