Paul Pasquali, qui réalise sa thèse sous la direction du sociologue Stéphane Beaud, s'intéresse tout comme ce dernier au phénomène d'adolescents confrontés à un univers nouveau, celui de l'université, dans laquelle ils peinent à s'insérer puisqu'ils proviennent d'un autre milieu, défavorisé lui, en décalage. La vitalité du texte et le dispositif mis en place par le sociologue s'éclairent alors sous un jour nouveau. C'est en se rapprochant de son sujet, par des entretiens d'élèves et de professeurs, et non l'étude quantitative de statistiques, qu'il espère dépeindre le plus justement possible l'expérience humaine de déracinement de ces élèves, cette sensation d'être "déplacé". L'article, paru en 2010 dans les Actes de la recherche en sciences sociales, porte un titre évocateur qui matérialise la perception proprement spatiale que le sociologue porte au problème : "Les déplacés de l'ouverture sociale". Etre "déplacé" c'est autant n'être pas à la place que l'on devrait normalement occuper, qu'être soudainement au contact d'un nouvel environnement, en l'occurrence la haute école. Pire, la nominalisation du participe suppose que les élèves que Pasquali a choisi d'étudier ne sont plus définis que par cet entre-deux, ce parcours topographique qui résulte directement de la volonté militante d'ouvrir les écoles autrefois réservées à des élites. Le titre, complexe, puisqu'il suppose que c'est le concept même d'ouverture sociale qui génère un trouble chez les individus favorisés, repose sur une ambiguïté de taille : l'ouverture, comme assimilation positive de nouvelles classes sociales dans le dispositif, crée une incongruité, l'un des sens de "déplacé" étant précisément de ne pas être conforme à la situation donnée. Cette question de la topographie sous-tend toute la présentation de Pasquali et permet d'organiser les strates de sa pensée de manière riche tout en éclairant puissamment le statut de "déplacés" des élèves auprès desquels il a mené son enquête (...)
[...] Les enseignants tentent tant bien que mal alors de supposer que la prépa va se faire tremplin 93) et donc saut dans l'espace, hors de leur zone d'éducation qui peine à les mettre en avant. Si la sensation d'être illégitime existe pour beaucoup avant même de pénétrer dans la prépa, elle persiste une fois entre ses murs, alors même qu'un des fondements d'une des prépas (l'ESSEC) était de les faire se sentir enfin légitimes, le propre de la méritocratie étant de suggérer à ces élèves que leur dur travail les a fait mériter une place dans un établissement de choix. [...]
[...] Enfin, la question de la double affiliation sociale reste persistante jusqu'au sein de la classe prépa sup-expé du lycée Coty, et avec elle le sentiment de ne pas être à sa place et d'être ainsi déplacé. I ) Aller au-delà de l'ouverture sociale : analyser le processus expérimental et ses effets de déchirement Si Pasquali adopte une démarche rigoureuse, il refuse pour autant de se contenter des statistiques, comme le font les comptes-rendus portant sur l'ouverture sociale des hautes écoles aux plus défavorisés. [...]
[...] Pourtant, l'initiative de Science-Po soulève une interrogation de taille : et si cette voie spécifique (p. 87) n'était en vérité qu'une voie de garage et en aucun cas un raccourci ? Les postulants sont alors bien déplacés puisqu'ils ne suivent pas le même parcours jusqu'à être acceptés dans l'école. L'autre interrogation soulevée par ce modèle, et qui intéresse tout particulièrement Pasquali dans son étude, est celle du but assigné à ce modèle d'intégration : les élèves, issus de ZEP, pourront-ils atteindre la même ligne d'arrivée que les autres, si l'on conserve les métaphores de course et de jeu déployées tout au long de l'article ? [...]
[...] L'ouverture sociale n'est-elle alors pas la valorisation de chaque élève mais un moyen de donner bonne conscience aux décisionnaires par une politique des quotas, ne laissant pas en dehors des élites un pan de la société ? Quitter la ZEP ou y rester : la possibilité d'une revanche sociale L'expression forgée par Pasquali pour qualifier ces élèves de ZEP insérés dans une formation sélective censée leur faire réussir un concours plus sélectif encore, est intéressante car elle désigne presque à présent un mode d'être, les élèves n'étant plus que des déplacés comme les naufragés d'un dispositif qui ne les prend en charge qu'un temps. [...]
[...] A ce titre, d'autres initiatives prennent le contre-pied de cette structure, la jugeant trop charitable et presque humiliante pour les candidats, tout en menaçant la cote de leur école, qui repose sur une sélection draconienne. Pasquali s'est intéressé à une classe préparatoire moins réputée mais illustrant parfaitement la sensation de malaise persistant chez ces élèves qui, bien qu'ayant passé le seuil du prestigieux lieu d'enseignement, ne s'y sentent pas à leur place, pas légitimes et encore moins appréciés. C'est la notion d'intégration positive qui prime et non plus de discrimination positive qui, elle retient évidemment celle de différence et de séparation, même si c'est justement ce handicap qui permet de favoriser une classe défavorisée. [...]
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