Au printemps 1983, un habitant de la cité des Minguettes à Vénissieux, Toumi Djaïdja, est blessé par un policier alors qu'il cherche à s'interposer pour éviter un affrontement avec les jeunes du quartier. Quelques mois plus tard, avec le père Christian Delorme, un prêtre de la cité, il crée l'association SOS Avenir-Minguette qui décide d'organiser à partir d'octobre 1983 une marche pour protester contre les violences policières et le racisme que subissent les jeunes issus de l'immigration. Partie de Marseille dans l'anonymat, la Marche pour l'égalité et contre le racisme est accueillie place de la République par près de 100 000 personnes le 3 décembre 1983. Ce même jour, Libération fait presque toute sa une sur l'arrivée imminente des marcheurs et consacre à la Marche un dossier intitulé : « Paris : le beur day ».
L'analyse en terme de mythe est-elle une grille de lecture pertinente pour comprendre le sens d'un tel titre ? Peut-on classer ce titre parmi les mythologies définies par Barthes ou le prisme du mythe est-il dépassé pour analyser une phrase qui a été écrite dans les années 1980 ? Pour le savoir, il convient de dépasser notre condition première de « lecteur du mythe » pour se transformer en « mythologue » et déchiffrer le potentiel mythologique que contient ce titre de journal.
[...] Le mouvement beur a pourtant une existence et une histoire avant cette Marche. Stéphane Beaud et Olivier Masclet ont montré que la marche résulte de l'action diffuse et quotidienne de l'ensemble des associations qui structurent alors la collectivité des jeunes issus de l'immigration Ahmed Boubeker met aussi en garde contre les discours qui, sans tenir compte d'itinéraires ou d'histoires de vie multiples et différenciées considèrent l'accès à l'espace public d'une génération comme son acte de naissance Il voit même derrière ces discours une idéologie intégrationniste qui ne s'intéresse ni à la genèse de la figure beur, ni à son destin au-delà de sa carrière publique En revenant sur la genèse de la figure beur et sur son devenir après la Marche, ces trois sociologues contribuent à redonner une histoire au mouvement beur. [...]
[...] Pour cela il faut montrer que Paris : le beur day doit être lu comme un système sémiologique et non comme un système factuel. Il s'agit ensuite de revenir sur les principales figures du mythe que relève Barthes pour montrer en quoi elles peuvent s'appliquer au titre de Libération. Enfin il convient de se demander si, comme le dit Barthes, le mythe à un fondement historique et en quoi Paris : le beur day est une parole choisie par l'histoire Dans Mythologies, Roland Barthes écrit qu'« aux yeux du lecteur de mythe, le signifiant et le signifié ont un rapport de nature. [...]
[...] Certes le lecteur ne possède pas les outils que le mythologue a à sa disposition pour déchiffrer le mythe (idéaux-type, concepts, néologismes mais il peut parfois résister à la force du mythe. Les études de réception des Cultural Studies ont bien montré qu'il possède certaines clés pour décoder le message idéologique du mythe. Nous trouvons un exemple de cette capacité à résister au mythe dans la manière dont les beurs se sont comportés face aux médias dans les années qui ont suivi la Marche pour l'égalité et contre le racisme. [...]
[...] Ce rappel des fondements historiques du mythe montre que le titre de Libération résulte bien d'une intention. Mais Barthes estime que dans le mythe, l'intention est en quelque sorte figée, purifiée, éternisée, absentée par la lettre En volant le mot beur, qui existe déjà dans les cités, les journalistes de Libération neutralisent leur intention, ils s'expriment comme s'ils décrivaient un fait allant de soi. La postérité du mouvement beur montre pourtant que le mythe entretenu par Libération est profondément historique : le Parti Socialiste et Libération se sont désintéressé des beurs aussi vite qu'ils leur avaient permis d'accéder à l'espace public et, pour certains, à la célébrité. [...]
[...] Ce même jour, Libération fait presque toute sa une sur l'arrivée imminente des marcheurs et consacre à la Marche un dossier intitulé : Paris : le beur day L'analyse en terme de mythe est-elle une grille de lecture pertinente pour comprendre le sens d'un tel titre ? Peut-on classer ce titre parmi les mythologies définies par Barthes ou le prisme du mythe est-il dépassé pour analyser une phrase qui a été écrite dans les années 1980 ? Pour le savoir il convient de dépasser notre condition première de lecteur du mythe pour se transformer en mythologue et déchiffrer le potentiel mythologique que contient ce titre de journal. [...]
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