« La sorcière du CNRS » … Jeanne Favret-Saada, ethnologue et psychanalyste française, née en 1934 en Tunisie, a déchaîné les passions voire les railleries des journalistes, et les critiques de ses collègues, lors de la parution de son livre "Les mots, la mort, les sorts" en 1977. Ce n'est pas tant le sujet même de son travail de recherche, la sorcellerie paysanne dans le Bocage normand, dans lequel elle a passé cinq ans entre 1969 et 1974, qui est pointé du doigt. Les évènements de Mai 68 ont été déterminants dans le choix de ce sujet, puisqu'elle devait partir en Kabylie cette année même, mais a préféré rester à Nanterre et soutenir ses étudiants. Sa démarche s'inscrit dans le sens de la révolte étudiante qui, entre autres, désirait briser les dogmes et les tabous.
Ainsi la méthode pragmatique qu'elle a adaptée à son sujet fait l'objet des critiques des ethnographes traditionnels. Toutefois, moins qu'une rupture complète avec la méthodologie d'enquête et de compte-rendu des résultats obtenus, l'œuvre de Jeanne-Favret-Saada marque davantage une évolution dans l'approche traditionnelle des cultures populaires telles que la pratiquent les folkloristes, et plus largement des cultures primitives ou pas, ce qui concerne la totalité de la communauté des ethnologues.
Mais méthode et récits de sorcellerie sont particulièrement imbriqués, étroitement liés, puisque c'est grâce à son investissement personnel, grâce à sa démarche subjective, qu'elle a pu obtenir les confidences de paysans ensorcelés et bénéficier d'un apprentissage auprès de désenvoûteurs ou désorceleurs. Pourtant, elle a dû tâtonner avant de trouver la solution : elle a dû pénétrer, participer à la culture indigène, être « prise », croire à la sorcellerie, parce qu'ensorcelée ou désorceleuse, pour faire tomber les cloisons du Bocage silencieux, où règne « l'empire du secret ».
[...] Cette condescendance liée à une mythique opposition sauvage/civilisés imprègne la vision des élites de province et de la capitale, médiatiques et intellectuelles[2]. Jeanne Favret-Saada souhaite détruire tout au long de son livre, cette vision brutale du monde paysan vu d'en haut[3] en présentant notamment dans le dernier chapitre En attendant la suite le système complexe de la pensée de la sorcellerie développé par les paysans, mais également au long du livre, en rappelant entre crochets le raisonnement binaire de Mannoni Je sais bien mais quand même dès qu'un exemple se présente : Jean Babin qui n'y croit pas trop Les Babin sont les premiers à lui confier leur appartenance au système de représentations de la sorcellerie paysanne quand il pense que l'auteur est prise elle aussi. [...]
[...] Gérard Bonnot, La sorcière du C.N.R.S, L'Express, n°1206, 19-25 août 1974 Voir son annexe I L'explorateur des ténèbres critique cinglante d'un reportage télévisé sur la sorcellerie dans le Berry. L'auteur manie ainsi souvent l'ironie : Roger Pol-Droit dans le Monde s'arrête sur la distance qui sépare Paris et le monde de la sorcellerie, qui est de 300 km, qui paraissent s'amuse l'auteur, représenter l'exacte distance des Lumières aux Ténèbres Après coup p.212 Corps pour corps phrase rituelle d'un des désorceleurs du bocage (le père Grippon) mais également le titre d'un livre que Jeanne Favret- Saada a coécrit avec Josée Contreras, en 1981. [...]
[...] Ainsi le père Coquin (sorcier) est mis en position de faiblesse par Monnier (ensorcelé) au conseil municipal quand celui-ci le ridiculise (le rire démonstratif des autres conseillers) et se positionne en position de force face au sorcier, annulant de cette façon le sort qui pesait sur lui. Le constat de l'auteur : une crise de sorcellerie sans sorcier ni acte de sorcellerie réels Parmi les quatre personnages (sorcier, ensorcelé, annonciateur et désorceleur) qui évoluent dans le système de la sorcellerie, seul le sorcier n'existe pas réellement. C'est la conclusion paradoxale que l'on peut tirer du livre. [...]
[...] Bien souvent, on déduit donc l'identité du sorcier qui est très souvent un proche, un parent, un ami, un voisin (les membres de l'espace social réduit des habitants du Bocage) à travers des signes coïncidant avec la délivrance de l'ensorcelé via la victoire du désenvoûteur. Conclusion Comme le souligne, Nicole Belmont[7], du travail de Jeanne Favret-Saada, on peut conclure que la sorcellerie n'existe pas. En revanche, le système de pensée paysan de la sorcellerie existe bel et bien et est précisément, scientifiquement expliqué dans les dernières pages du livre. La méthode empruntée par l'auteur est finalement sûrement le plus grand apport du livre. [...]
[...] Seuls les mots peuvent délivrer un ensorcelé. Le désorceleur a donc vis-à-vis de son client/patient la volonté de le faire parler pour le connaître, et le désorceleur est le seul hormis les proches à qui l'ensorcelé accepte de se confier. Le désorceleur occupe la place du psychanalyste et explique l'attrait de l'auteur, lui-même psychanalyste, pour le rôle du désorceleur, qui aurait une fonction profondément cathartique. La nécessité d'un auteur pris et donc belligérant pour décrypter le discours Les prérequis de l'ethnographie traditionnelle consistent en la prise d'information auprès de tous les membres de la culture étudiée. [...]
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