Le texte que nous commentons ici est l'introduction à un dossier intitulé « terrains d'Egypte, anthropologies contemporaines », rédigé sous la direction de deux anthropologues, Vincent Battesti et Nicolas Puig, et paru dans le numéro 3 de la troisième série d' « Egypte/monde arabe », la revue annuelle de sciences sociales publiée au Caire par le CEDEJ.
Il s'agit avant tout, au cours de ce travail, de mener une réflexion sur les manières dont on aborde, dans la discipline anthropologique contemporaine, un terrain étranger (comprenez étranger aux chercheurs qui s'y intéressent) mais également sur les différentes façons dont on établit des interactions avec les acteurs de ce terrain étranger (lesquels sont eux aussi par définition étrangers au chercheur par la culture, la géographie, mais également la plupart du temps par leur situation sociale et bien d'autres variables encore : « on enquête rarement sur soi-même (ou) sur ses propres cercles sociaux habituels »), acteurs qu'il conviendra d'appréhender en tant que sujets d'étude.
Ce commentaire étant libre, nous avons pris l'initiative de dégager ce que nous avons considéré comme étant les idées principales de ce texte, qui sont au nombre de cinq.
[...] En effet et pour commencer, les façons d'aborder les terrains et de mener les enquêtes sont aussi variées que les chercheurs qui s'y intéressent Le travail d'anthropologue est avant tout un travail individuel dans lequel les dispositions personnelles des chercheurs et leur personnalité prennent une part importante. A cette subjectivité du travail d'anthropologue, il faut ajouter le caractère spécifique de chaque enquête, en ce sens que, contrairement à d'autres sciences comme les mathématiques ou la physique, dans lesquelles les expériences qui vont être menées pour aboutir à des conclusions peuvent être détaillées avec précision avant même leur commencement, l'enquête anthropologique, elle, consiste en une succession de choix et d'aléas, tant de choses imprévisibles qui rendent donc quasi impossible la restitution de la méthode ethnographique Aussi Puig et Battesti observent-ils qu'en anthropologie, les histoires prennent place, sens et se construisent avec le public, parmi lequel l'anthropologue produisant une enquête qui est au final en quelque sorte coproduite entre l'anthropologue et ses interlocuteurs locaux La grande variété des objets explorés par les anthropologues ainsi que la multiplicité des engagements concrets qu'ils souscrivent ne font que renforcer cette diversité infinie de la méthode ethnographique, discipline qui semble, du point de vue de la forme, obéir avant tout aux circonstances de terrain. [...]
[...] Nous verrons que leur verdict est sans appel : les terrains égyptiens conservent toute leur pertinence et méritent que l'on s'intéresse à eux pendant encore longtemps tant ils semblent encore receler de nombreux mystères (III). La quatrième idée que nous avons dégagée est développée de manière assez brève, mais il nous a néanmoins semblé qu'elle méritait d'être retenue tant elle est en lien direct avec les deux objets principaux de ce texte, à savoir le chercheur et les terrains égyptiens : il s'agit bien entendu des chercheurs égyptiens, dont il est rappelé dans cette introduction à quel point ils sont peu nombreux, et ce, pour des raisons diverses, que nous expliciterons plus tard (IV). [...]
[...] En effet, pour les besoins de son travail, basé sur des entretiens menés au cours de brefs moments (comprenez des relations davantage impersonnelles que celles décrites précédemment) aux quatre coins de l'Egypte, l'auteur fait appel à de jeunes chercheurs algériens, lesquels pouvant présenter le double intérêt (au moins pouvons nous en émettre l'hypothèse) de légitimer la présence de la chercheuse française au sein de cercles sociaux peu habitués à côtoyer des cultures étrangères d'une part, et d'assurer une fonction d'intermédiaire entre les langues arabe et française d'autre part. III/ Dans un troisième temps, les auteurs de ce texte prennent acte du fait que les frontières de la discipline anthropologique ont été assez largement reformulées ces dernières années. [...]
[...] Ainsi, Izard va jusqu'à dire que la focalisation de l'anthropologie sur la modernité a vidé le mot terrain d'une grande partie de sa valeur d'évocation cette notion s'inscrivant désormais, selon les auteurs, dans des normes bien différentes de celles proposées dans les manuels traditionnels de l'enquête ethnographique Et pour cause, une thèse aujourd'hui assez répandue et qui n'a pas manqué, dans son élaboration, d'être influencée par l'intensification de la circulation des personnes et des flux culturels (ou mondialisation) aboutit à reconfigurer le local en fonction du global mais surtout à lui dénier [ ] toute prééminence dans l'appréhension des phénomènes sociaux Cette thèse, souvent qualifiée de transnationaliste et largement véhiculée par les cultural studies, aboutit ni plus ni moins à dénier au terrain sa spécificité et à nier l'impact qu'il pourrait avoir (et aurait sûrement) sur les résultats de l'enquête. Dès lors, l'interrogation de Puig et Battesti est légitime : quelle serait la pertinence, dans un cadre idéologique ainsi reformulé, d'enquêtes menées sur les terrains égyptiens ? [...]
[...] En effet, qui mieux qu'eux serait susceptible d'enquêter sur les terrains égyptiens, de s'insérer dans les différents milieux de cette société, tout en étant parfaitement armé pour en comprendre et en expliquer les mécanismes et les modes de fonctionnement ? Or, force est de constater que l'immense majorité des enquêtes qui sont menées en Egypte sont le fait d'ethnographes qui soit sont occidentaux, soit sont Egyptiens, mais qui ont durablement séjourné voir se sont installés dans un pays occidental et s'en sont ensuite retournés vers leur pays ou région d'origine Ceci n'enlève rien évidemment à leur qualité d'Egyptiens, mais soulève toutefois le problème de la perception que l'on en Egypte, de cette profession : cette dernière a du mal, encore aujourd'hui, à se démarquer de ses origines coloniales, son caractère scientifique n'est pas reconnu à sa juste valeur, et enfin c'est une discipline qui, en général, est perçue comme peu valorisante. [...]
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