Dans L'esprit de Philadelphie, Alain Supiot nous invite à redécouvrir un texte fondateur du nouvel ordre mondial consacrant la justice sociale comme « une pierre angulaire de l'ordre juridique international ».
C'est dans une perspective historique que l'auteur aborde cette finalité sociale, en expliquant que le contexte d'après-guerre affranchissait ces notions de foi, de races et de lois de la science pour les soumettre aux lois de la raison et de l'expérience. Dans cette optique, la dimension humaine et sociale est affirmée comme principe universel majeur et comme le substrat de toute architecture juridique. La justice sociale devient pour paraphraser l'auteur « le but central de toute politique nationale et internationale ».
C'est toujours sous une grille de lecture historique qu'Alain Supiot traite de l'héritage social et démontre que la finalité humaine a été phagocytée par ce « grand retournement » néolibéral dont le père idéologique est Hayek. Cette idéologie manifestée par les politiques anglo-saxonnes a pour but de détruire tout système juridique fondé sur la solidarité afin de revenir à un droit bâti sur une logique individuelle et subjective laissant place « à l'ordre spontané du marché ».
Le droit se redéfinit non pas comme un ensemble cohérent de normes et de règles transcendant les faits, mais se substitue à un outil permettant le bon fonctionnement du marché. Le droit devient lui-même régi par les règles concurrentielles pour laisser place au « meilleur » système juridique d'accompagnement au marché, c'est par cet argumentaire qu'il explique l'impotence des règlementations afin de remédier à la récente crise financière étant donné que ce système désaxé produit ses propres règles.
[...] 3/Rappeler l'esprit de Philadelphie La synthèse de la problématique du lien sociale, inhérente à la configuration économique sociale et politique actuelle, et d'un droit soumis au marché jette le périmètre du défi à relever afin de renouer avec cet esprit de dignité sociale. La société étant aujourd'hui phagocytée par le marché, son dispositif social étant lui-même au service des plus aisés, le droit de grève est l'apanage des classes dominantes étant donnée la configuration sociale actuelle avec un travail précarisé et fugace. [...]
[...] A ce sujet l'impertinence d'une telle analyse se trouve au fondement de l'idéologie libérale. Adam Smith, un des pères de cette doctrine, pense l'économie comme le balbutiement de la société, le citoyen devient un consommateur et la société représente l'économie de marché laissant deviner un dépérissement de l'état et du droit au vu du marché s'imposant comme régulateur sociale. Néanmoins, cette construction philosophique s'avère peu crédible, l'échange marchand est intrinsèquement égalitaire de par son caractère monétaire, la dette est soldée dès que l'échange a lieu, l'essence même du prix d'équilibre traduit le fait de la parité entre l'échangeur et l'offreur, tandis que dans l'économie du don contre don, la dette n'est jamais éteinte et comme le montre Jean-Baptiste de Foucauld et Denis Pivetea la dette n'est jamais soldée, et c'est même ce déséquilibre permanent qui fait de l'échange, jamais clos, jamais achevé, une sorte de mouvement perpétuel, stabilisateur du lien social Dans cette optique, le marché comme régulateur social se substitue davantage à un désordre spontané sarclant tout processus d'intégration sociale traditionnelle. [...]
[...] Alain Supiot appelle à la réhabilitation de l'esprit de Philadelphie afin d'ériger à l'épicentre de toute activité, dont celle des marchés, la dignité humaine et la justice sociale. Afin de parvenir à cette finalité, l'auteur établit cinq chantiers, renouer avec le sens des limites en fondant une loi universelle dans un espace restreint et ne pas se conformer à la volonté d'un mondialisme souhaitant unifier des règles apatride et subjective, de refonder le droit en lui accordant une finalité sociale, d'intégrer le sens de l'action en mettant au cœur de l'analyse non plus la réaction aux signaux du marché, mais le bien-être humain et social, affirmer le sens de la responsabilité morale et/ou personnel en empêchant que le droit ne serve d'outil pour les irresponsables (l'exemple du drame écologique du prestige où les coupables ont été dédouané au nom du droit est éloquent) et enfin le sens de la solidarité en réintroduisant un lien social vertical, avec notamment l'exemple des cotisations à la retraite reflétant à merveille cette solidarité intergénérationnelle, le primat du droit contractuel subjectif devant être remis en cause afin d'apporter au droit sa dimension de devoir C'est par cet exposé qu'Alain Supiot appelle à l'esprit de Philadelphie afin de juguler l'aliénation du marché, la mécanique néolibérale s'inscrivant aux antipodes de cet héritage, l'auteur lance à ce sujet un formidable défi a l'Europe qui est d'incorporer cette vision éminemment sociale et humaine à son architecture juridique, politique et économique. [...]
[...] En s'inscrivant dans la logique néo-libérale, l'état et le droit s'essentialisent comme des instruments permettant à l'homme d'affirmer sa liberté de producteur/consommateur, l'État se doit d'être amoral, la morale étant source de conflit et guerre sanglante justifie le statut neutre et impartial de l'État afin de laisser la société sous l'emprise bienfaitrice du marché. Cette analyse rejoint celle d'Alain Supiot dans la structuration de ce droit au service du marché, l'absence de finalité sociale s'inscrit de manière historique et épistémologique dans ce grand retournement Le marché est donc à l'épicentre de la lutte contre l'entropie en canalisant la violence des hommes en favorisant l'échange par un cadre réglementaire dénué de tout jugement de valeur autre que la croyance à un divin marché. [...]
[...] Au vu des échecs actuels de l'idéologie du marché, une introspection idéologique est à relever dans le fonctionnement des institutions juridique, l'élaboration d'une authentique architecture juridique à des fins universelles et sociales inféodées à aucune tierce puissance est l'impératif du présent en vue d'un salut économique et social futur. 2/Le délitement du lien social L'ordre néolibéral se pose fondamentalement aux antipodes des enseignements du double traumatisme que symbolisent Auschwitz et Hiroshima, en se basant sur une même épistémologie réifiant l'humain en marchandise. En effet, le capitalisme actuel indexe le capital humain dans une organisation économique en vue de servir la finance en lieu et place de consacré du haut de sa hiérarchie des valeurs l'humain et lui soumettre l'économie a ses besoins. [...]
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